Dans la chaleur du parc
Bertrand Belin Parcs (2013, Cinq 7 / Wagram Music)
« Dans ce disque, il y a une invitation, j’ai congédié le physionomiste ». C’est en ces termes finement choisis que Bertrand Belin évoquait son lumineux Parcs dans Les Inrocks à l’occasion de sa sortie. Avec ces quelques mots, le Breton confirmait la trouble expressivité de son verbe tout en livrant une impeccable définition d’un album effectivement grand ouvert sur le dehors. Les formidables chansons d’ Hypernuit semblaient souvent coupées dans un manteau d’hiver ; on y voyait la neige, la boue collée aux semelles, la bruine cinglant les joues. L’homme y prenait parfois des airs de bête et comme une violence contenue semblait sourdre en arrière-plan. Avec Parcs, Bertrand Belin sort sa musique de cet inquiétant crépuscule et laisse entrer le soleil. Le résultat est proprement somptueux.
Toute la soirée / J’ai cherché / Mon cœur ne s’est pas / Emballé / Par ma bouche l’air de l’été / Jaillit en un sifflet de gaité / Je t’ai retrouvée / Je t’ai retrouvée
Un déluge
Musicalement, Bertrand Belin continue peu ou prou de creuser un sillon bien à lui, qu’on pourrait qualifier un brin paresseusement de folk-rock à la française, pour ce qu’il fait la part belle aux guitares acoustiques. Le bonhomme apparaît surtout comme un drôle d’alchimiste naturaliste, tant ses chansons nous font toucher la matérialité des éléments qui nous entourent en les saupoudrant d’une forme de mystère. On y ressent la chaleur du soleil comme la morsure du gel, la caresse du vent comme le gravier sous les souliers. La voix minérale de Bertrand Belin renforce le côté enraciné de cette musique mais d’un autre côté, l’inventivité des arrangements et la liberté poétique des textes préservent l’ensemble de tout excès de pesanteur. Les mots et la diction si particulière du chanteur font aussi beaucoup pour la beauté de ces chansons, par cette façon de sans cesse susciter l’attente, de laisser les silences attiser le suspense et de sublimer des situations triviales en posant sur elles un regard toujours neuf.
On le voit / De loin on l’aperçoit / Posé là les bras en croix / Va-t-il ou ne va-t-il pas / Y aller / Pour notre joie
Plonge
Le disque s’ouvre sur les grands espaces et les plans panoramiques de Comment ça se danse, quelque part entre Ennio Morricone et Calexico, et sur lequel la sueur nous coule dans le dos tandis que tournoient au-dessus de nous les notes d’une guitare slide. La chanson plante un décor que son auteur s’emploiera à sans cesse renouveler, en bloc ou par touches, tout au long du disque. Sur Un déluge ou Pour un oui pour un non, Bertrand Belin délivre des bijoux de mélodies pop furieusement entraînantes, nous invitant à danser tout en retenue. Plus loin, avec Plonge et Peggy, le bonhomme signe une paire de chansons en majesté, mêlant ampleur et subtilité dans un parfait équilibre. La production de l’Anglais Shez Sheridan enveloppe les morceaux d’une chaleur boisée dans laquelle tout sonne juste et cette forme d’évidence se retrouve aussi bien dans la nudité acoustique de Pauvre grue que dans les entrelacs mélodiques et poétiques d’un Ruine fluide comme le cours de l’eau. Le disque se termine avec une chanson coucher de soleil, un Capucine qu’on s’imagine écouter au bord d’un lac, l’été, dans un parc peut-être…
Rien ne dit que tu ne viendras pas / Hanter jusqu’aux champs voisins / Dix hivers ne me tomberont pas facilement des mains / Remarque que je ne veux ni te perdre ni ta perte ni rien / Seulement oublier un peu le poids de ta main / Partout le silence a pris comme on dit du galon / Des congères de silence sous des lits de liseron / L’herbe a déjà repoussé sous la neige amassée / Viendra la saison qui verra les merles rechanter
Pauvre grue
Bertrand Belin a poursuivi son parcours d’excellence avec Cap Waller paru en 2015. Les mélomanes l’auront sans doute également remarqué en featuring sur le génial Dimanche extrait du dernier album des pétulants Limiñanas.
1 réponse
[…] d’exprimer dans ses pages tout le bien que je pensais de son travail, notamment son somptueux Parcs de 2013, magnifiquement baigné de la lumière du jour. Parmi les hauts faits d’un disque qui […]