Wild Nothing Gemini (2010, Captured Tracks)

Quand certain·e·s se lancent dans l’aventure musicale avec des ambitions avant-gardistes ou des intentions de chamboule-tout, d’autres se jettent à l’eau avec l’idée simple de jouer la musique qu’ils aiment et d’apporter leur pierre à cette tower of songs chantée par Leonard Cohen. Au fond de sa Virginie natale, le jeune Jack Tatum s’est épris dès avant l’université de l’indie-pop made in 1980’s battant le plus souvent pavillon britannique, avec ses mélodies vaporeuses, ses guitares à effets et son goût pour l’introversion. Après avoir tâtonné au sein de diverses formations, c’est finalement en 2009 que le garçon se réinvente en Wild Nothing qui, après un premier EP remarqué reprenant l’intouchable Cloudbusting de Kate Bush, fait paraître en 2010 ce premier album dont je n’ai pour tout dire découvert les contours brumeux qu’assez récemment.
We’re driving to your parent’s house just for a visit / And I’m sleeping in your brother’s bed / Won’t you sneak into my room and crawl under the covers / Talk nonsense in your sleep
Summer holiday
Comme indiqué plus haut, Wild Nothing puise sans faux-semblants son inspiration dans les grandes heures de la pop anglaise des années 1980, balayant avec un égal bonheur un spectre courant de New Order aux Cocteau Twins. Ce revivalisme pourrait paraître vain si Jack Tatum ne se révélait pas aussi habile à trousser des compositions à l’élégance gracile pétrie d’un romantisme qui ne pouvait que troubler nos cœurs d’artichaut. Imprégnées de mélancolie adolescente, les chansons de Wild Nothing font vibrer la corde sensible et se rattachent clairement à une lignée qui privilégie l’auscultation de nos battements intérieurs (et de ceux de leurs auteurs) plutôt que l’examen des affaires du monde extérieur. Avec ce tropisme de myope, les contours de l’environnement éloigné de plus de quelques mètres se diluent et se délaient dans un flou indistinct, tandis qu’a contrario les mélodies de dentelle s’attachent à suivre au plus près la trame des vibrations intimes de Jack Tatum. Et de celles-ci exsudent une insondable mélancolie, une forme de nostalgie pour une époque que le garçon n’a évidemment pas connue et qui révèle une évidente volonté d’échapper aux pesanteurs du présent.
Because our lips won’t last forever / And that’s exactly why / I’d rather live in dreams and I’d rather die
Live in dreams
Le formidable Live in dreams placé en entame prend ainsi presque des airs de manifeste, proclamant ad libitum « we got eyes on the back on our heads ». tandis qu’une guitare s’enroule en guirlande autour d’un tapis de synthés. Si l’album navigue généralement dans une forme d’onirisme cotonneux, Jack Tatum s’avère suffisamment doué pour éviter le risque de la monochromie, s’attachant à accélérer ou ralentir le tempo au fil des morceaux pour varier les teintes et les éclairages. Les titres les plus dynamiques constituent ainsi de vraies réussites, comme le génial Summer holiday qui semble célébrer la rencontre entre DIIV, Avi Buffalo et les regrettées The Organ, la chanson dévalant toutes vitres ouvertes pour laisser entrer un vent vivifiant. Plus loin, O Lilac sonne comme une jolie chute d’un album de New Order, même influence que l’on retrouve d’ailleurs dans les boucles électroniques du plus planant Bored games. L’héritage des Smiths devait bien se retrouver quelque part et les guitares qui tournoient sur l’épatant Confirmation rappellent la virtuosité de l’intouchable Johnny Marr. Jack Tatum sait néanmoins mobiliser des références plus inattendues, usant d’un sample de… Chantal Goya comme fondation de son impeccable Chinatown. Le disque se clôt sur un Gemini plein de verve, aux allures de tube en puissance. Plus qu’une resucée sans âme de recettes passées, la musique de Jack Tatum sait jouer de ses influences pour leur conférer une vigueur renouvelée, démontrant en retour leur éternelle actualité et nous rappelant combien la nouveauté est avant tout une question de regard porté sur les choses.
We’re not happy ’til we’re running away / Clouds in your eyes / With nothing but the foggiest day
Chinatown
Au final, et malgré quelques titres plus anodins, sur lesquels l’alchimie fonctionne moins bien (Pessimist, The witching hour), Gemini constituait une belle révélation et plaçait Wild Nothing en figure de proue d’un revival eighties qu’incarnait alors des groupes comme The Pains of Being Pure At Heart voire même Aline dans nos contrées. J’avoue ne pas avoir suivi la suite des aventures du groupe, trois autres albums ayant paru depuis ce premier essai fort réussi, le dernier en date, Indigo, datant de l’année dernière.