Entre deux âges
Avi Buffalo S/T (2010, Sub Pop)
Comme des millions de jeunes gens à travers le monde, Avigdor Zahner-Isenberg se met à la guitare au collège, puis joue dans un groupe de rock alors qu’il est encore lycéen, du côté de Long Beach, Californie. Le jeune homme s’emploie rapidement à composer ses propres chansons chez lui et poste le tout sur My Space, ce qui lui vaut d’être invité à participer à quelques concerts sur les scènes du coin. Les choses s’enchaînent à grande vitesse pour le jeune Avigdor qui se retrouve à assembler un groupe autour de lui en moins de temps qu’il n’en faut pour l’écrire, groupe qu’il baptise d’après un surnom qu’on lui donnait gamin, Avi Buffalo. Ébahis par la qualité des morceaux du garçon, les dénicheurs de talents de chez Sub Pop signent le groupe et le fameux label fait paraître Avi Buffalo au printemps 2010. Avigdor n’a pas encore 20 ans.
Why’d don’t we just go and ruin everything by / Taking this westbound, I know I seem too keen / We’ll only stop to talk about our feelings / How good did you really feel / How much was he willing to spare / I’ve never written a love song, but I will for you
Remember last time
Tout semble donc s’être déroulé comme dans un rêve pour notre petit prodige, et l’accueil critique globalement très favorable récolté par ce premier opus dans les gazettes spécialisées paraissait confirmer que le jeune homme était définitivement né sous une bonne étoile. Le terme de “rêve éveillé” pourrait en tous cas parfaitement qualifier les dix chansons alignées ici par le quatuor californien. Avi Buffalo distille une pop psychédélique flottante et luxuriante, qui déploie ses mélodies comme autant de rivières aux eaux colorées et vivifiantes. Il serait cependant réducteur de n’entendre ici qu’une collection de chansons lumineuses bâties pour s’épanouir sous le soleil californien. La lumière toujours produit des ombres et la candeur qui irradie l’album s’accompagne en permanence d’une noirceur fiévreuse. La musique d’Avi Buffalo semble en effet saisir cet entre-deux chargé d’angoisses et de promesses entre l’adolescence et l’âge adulte, quand le monde apparaît immense et effrayant devant soi et qu’on a déjà suffisamment vécu pour sentir la vivacité de certaines douleurs malgré la férocité du désir et l’appétit de vivre. Cette “verdeur” fait ainsi penser – dans un style musical complètement différent – au formidable Grandpaw would du juvénile Ben Lee, qui captait lui aussi ce déchirant passage entre deux âges. Sous le masque d’Avi Buffalo, Avigdor Zahner-Isenberg se livre avec une franchise troublante, mettant dans ses chansons ses fêlures sentimentales comme ses poussées de désir charnel. Et si la fluidité des mélodies évoque l’innocence et le soleil, la voix acidulée – parfois presque crispante – et les textes sans faux-semblants offrent un contrepoint obscur qui confère au final à l’ensemble un attrait dérangeant.
I think you’re over this, but I’m not finished with your kisses / I know it’s not allowed, but you sure didn’t seem to mind / If you continue being so kind, I don’t think that I could stop trying
Summer cum
Ce jeu de balancier entre l’euphorie et la mélancolie se retrouve dès l’introductif Truth sets in, sur lequel la mélodie enjouée portée par de charmants claquements de mains accompagne un constat de désamour. Dans la plus pure tradition pop, on ne pourra cependant pas s’empêcher de reprendre en chœur cette ligne mélodique loin pourtant de filer droit. Quand elle se fait électrique, la musique d’Avi Buffalo rappelle les éclairs oniriques de Galaxie 500 ou les coups de tabac de Yo La Tengo. Il faut dire qu’Avigdor Zahner-Isenberg a de l’or dans les doigts et se fend ici ou là de quelques gerbes de guitare du plus bel effet, notamment sur le formidable débordement final qui emmène très haut le génial Remember last time. Ces saillies électriques sont un des moyens trouvés par le groupe pour relâcher un peu de la vapeur de son désir, tant la cocotte-minute semble parfois menacer d’explosion. Ce désir – et tout ce qu’il convoie d’emportements fiévreux et de troubles sans repos – gonfle aussi bien un Five little sluts tout en escalier que l’acoustique fébrile de Summer cum. Avec What’s in it for ?, Avi Buffalo s’offre une sorte de classique instantané, vertige ascensionnel sur lequel on croit entendre aussi bien des sirènes que des anges, nous faisant douter que le morceau nous entraîne par le fond ou dans les nuages. Ailleurs, le groupe s’offre une étonnante flânerie country-rock menée par un piano doux-amer (One last) et conclut sur un Where’s your dirty mind ? presque indécis, drôle de morceau qui semble hésiter sur la voie à suivre et se love finalement dans une semi-léthargie contemplative, se terminant sur ce constat largement partagé : “I don’t want to die”.
You are tiny and your lips are like little pieces of bacon / I can feel you on fire because you’re drunk and I seem too cool
What’s in it for ?
Tout n’est pas parfait cependant sur ce premier album dont la “verdeur” déjà évoquée ne masque pas toujours quelques imperfections, son charme capiteux montant parfois légèrement à la tête. Avi Buffalo signalait néanmoins l’arrivée dans le paysage indie-rock d’une personnalité d’une grande singularité dont on allait attendre beaucoup. C’est peu dire que le groupe allait transformer l’essai en beauté, montant la barre d’encore quelques niveaux avec son album suivant, At best cuckold. Mais c’est une autre histoire…
1 réponse
[…] des grands bonhommes de cette décennie 2010, ce que confirmera la suite de ce classement. Sur son premier LP éponyme, Avi Buffalo démontrait déjà une personnalité bluffante, distillant le long de l’album […]