Sombre campagne

Tue-Loup La Bancale (1998, PIAS)

Tue-Loup - La Bancale

C’est en 1996 que Xavier Plumas, Romain Allanot, Thierry Plouze et Stéphane Gosnet, quatre amis vivant dans un village sarthois, décident de fonder Tue-Loup, d’après le nom d’un lieu-dit situé pas loin de chez eux. L’alchimie prend vite entre les membres du quatuor et le groupe enregistre rapidement un premier album auto-produit, Les sardines, qu’il vend après ses concerts et qu’il décide d’envoyer au label PIAS parce qu’il admire son catalogue (où trônent alors notamment Miossec, Swell ou Palace). Le label accepte de les signer et Tue-Loup, dans son coin de campagne, enregistre ce deuxième LP qui paraît en 1998.

Lentement mais sûrement / Jour après jour, mine de rien / Comme tant d’autres avant nous / Sournoisement, on rejoint / Le clan des chiens battus / Qui se disent qu’il est plus sûr / D’avancer en rasant les murs

En rasant les murs

Avec ce disque ombrageux et orageux, Tue-Loup réussit à bâtir un pont, à l’époque assez improbable dans la musique d’ici, entre la ruralité sarthoise et quelques-unes des plus fines plumes d’un folk-rock inquiet made in USA, de Neil Young à Swell. Le long des onze titres de cet album, Tue-Loup délivre une musique bilieuse et mal peignée, une country-music au sens propre du terme, musique de la campagne, emplie de solitude et de ressentiment, mais jouée sous les étoiles et parvenant à mêler grande déprime et grands espaces. Les textes sombres de Xavier Plumas et son chant grave et fébrile (qui peut parfois lasser sur la longueur, je le concède), ajoutent encore à l’atmosphère plutôt dépressive de l’ensemble, mais le groupe s’avère capable de jubilatoires déflagrations qui vrillent l’échine et le préservent de la neurasthénie. Surtout, dans la droite ligne d’un Silvain Vanot, Tue-Loup propose une traduction française digne et habitée d’une tradition musicale mêlant folk électrique et racines blues et alors en pleine effervescence créative de l’autre côté de l’Atlantique (de Swell à Vic Chesnutt, de Red House Painters à Will Oldham).

Mais si ça vous démange encore… / Venez donc m’entretenir de la bonté de l’âme / Et des bras accueillants où l’amour se loge / J’affûte en attendant une dernière fois ma lame / Oh, j’aurais grand plaisir à vous trancher la gorge

Venez voir le décor

La Bancale s’ouvre doucement par l’instrumental Les vanneaux, puis le groupe aligne en suivant l’impressionnant En rasant les murs, morceau avançant tel une coulée de boue, charriant les humeurs mauvaises de Xavier Plumas sur un accompagnement de guitares folk tranchantes. Ce folk-rock teigneux, dont l’ébullition lente produit au fil du disque de renversants débordements, se retrouve sur les excellents Morphlée ou Le nœud, que vomit Plumas comme s’il souffrait d’une indigestion émotionnelle. Dans ses meilleurs moments, cette musique pleine d’échardes dévoile une profondeur de champ étonnante qui n’est pas sans rappeler, là encore, quelques disques adorés de la période, de Grant Lee Buffalo ou de Sparklehorse par exemple.  Quand Tue-Loup s’essaie à la douceur et qu’il semble s’apaiser, les morceaux plus lents comme le superbe La bougie ou l’inquiétante complainte tzigane Kaj maj colportent encore leur dose de colère rentrée, qui sourd à chaque instant sous chaque note jouée par le groupe. Si on pourra reprocher à Tue-Loup d’étirer ici ou là un poil trop ses chansons, le groupe démontre qu’il n’a pas les deux pieds dans le même sabot en variant les plaisirs stylistiques, de la ballade écrasée de soleil Putain d’été au swing blues-rock rocailleux de Venez voir le décor. Cerise sur le gâteau, c’est en allant frotter un vieux morceau des bals musette que Tue-Loup atteint son zénith, avec une reprise atomique et bouleversante de Mon amant de Saint-Jean, chanson interprétée à l’origine par Lucienne Delyle en 1942 et soumise ici à une cure d’électricité hirsute lui redonnant une couche de désespoir poignant bien éloignée des pitreries sépia d’un Patrick Bruel.

Et puis y’a toi qui me largue en juillet / Pourquoi t’as pas choisi janvier / T’es si belle quand t’es toute bronzée / C’est vraiment un putain d’été

Putain d’été

Comme tant d’autres, j’ai perdu progressivement de vue les productions de Tue-Loup depuis La belle inutile, encore parsemé de bons moments mais moins frappant que cette Bancale impétueuse. Le groupe continue d’œuvrer depuis cet album fondateur, toujours mené par Xavier Plumas et a encore sorti un disque de relectures de morceaux de musette l’an dernier. Tant de musique, si peu de temps…

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