Out of time men
R.E.M. Out of time (1991, Warner)
C’est assez particulier pour moi d’aborder Out of time, et ce bien au-delà de toute considération sur sa valeur artistique. Ce fut déjà le disque qui me fit découvrir ce groupe américain dont j’ignorais tout, découverte alors partagée avec des millions de personnes sur la planète. Ce fut surtout un des premiers albums à entrer dans ma discothèque personnelle : c’était une cassette audio – les jeunes ont oublié – , probablement achetée au Club Dial (mais qui s’en souvient ?), bien entendu sur la foi de Losing my religion, tube imparable qui n’a 25 ans plus tard rien perdu de son évidence. C’est assurément le seul – parmi les 3 ou 4 disques que j’avais alors – que je peux décemment encore écouter aujourd’hui et c’est donc sans doute l’album qui m’aura accompagné depuis le plus longtemps. Ce côté « madeleine » ne peut pas être occulté à l’heure où je reviens ici sur ce septième album studio du quatuor d’Athens.
Life is bigger / It’s bigger than you / And you are not me / The lengths that I will go to / The distance in your eyes / Oh no I’ve said too much / I set it up
Losing my religion
Des années après et plusieurs centaines (milliers ?) d’albums dans les oreilles, dont la discographie complète de R.E.M., que retenir de Out of time ? S’il ne saurait se placer parmi les meilleurs disques du groupe, il n’en manque pas pour autant de qualités, ni d’intérêt. On remarquera déjà que pour la première fois, R.E.M. – enfin « installé » suite au succès de Green – aura pris le temps pour enregistrer un album. Alors que le groupe avait enchaîné ses 6 premiers albums en un peu plus de 5 ans, il aura pris une pause de presque 3 ans pour donner suite à Green. Les mauvaises langues diront qu’on aurait pu s’attendre à mieux – et elles n’auront qu’à moitié tort. En fait, comme son prédécesseur, Out of time semble sous certains abords donner à entendre un groupe un peu incertain, qui ne sait pas vraiment quelle direction prendre et que faire de son nouveau statut. Si Out of time est un disque souvent lumineux, loin de trahir une quelconque perte de confiance, c’est aussi un ensemble qui paraît manquer un brin de cohérence, et qui se disperse sans toujours toucher au but. En même temps, il confirme aussi que Michael Stipe et ses trois compères formaient une bande plus aventureuse qu’on voulait bien le dire.
It seems a shame you waste your time on me / It seems a lot to waste your time on me
Me in honey
Musicalement, Out of time montre un R.E.M. quitter la voie plus rock qu’il avait prise depuis en gros Life’s rich pageant. Les guitares sont le plus souvent débranchées, la rythmique s’apaise et on voit apparaître tout une gamme d’instruments nouveaux dans la panoplie du groupe. Peter Buck ne lâche plus sa mandoline (cf. Losing my religion) et des cordes viennent enrichir les arrangements de plusieurs chansons. Clairement, avec le recul, Out of time annonce les sommets de Automatic for the people sans jamais les atteindre, comme si le groupe commençait seulement à entrevoir vers où il voudrait (ou pourrait) aller. Au bout du compte, Out of time alterne grands moments et morceaux plus ronronnants. Une chanson comme Texarkana par exemple ne démérite pas mais expose un R.E.M. un peu en pilotage automatique. Near wild heaven ou Shiny happy people sont de jolies ritournelles pop, aux mélodies suffisamment bien troussées pour coller aux oreilles (et même trop pour la deuxième nommée) mais sans l’urgence qui habitait tant des morceaux passés du groupe. Et si l’intervention du rappeur KRS-One sur Radio song surprend, la greffe semble un brin artificielle pour vraiment pleinement convaincre. Mais à d’autres instants, R.E.M. démontre qu’il n’a pas perdu la main ni son talent. Losing my religion – malgré tant d’écoutes – brille toujours derrière son mystère et le terminal Me in honey (interprété comme Shiny happy people en duo avec Kate Pierson des B-52’s, aînés inspirants d’Athens) est une vraie réussite, ample et limpide. C’est quand le groupe se fait sombre qu’il éblouit le plus. Tout en basse et en cordes, Low figure une fascinante ballade inquiète qui d’un coup s’enfièvre et qui ne jurerait pas sur un album de Timber Timbre. Et R.E.M. livre avec Country feedback un de ses titres les plus poignants, country véritablement écorchée sur laquelle Stipe a rarement paru aussi seul et désorienté et c’est proprement bouleversant. S’il n’y avait qu’une raison d’écouter cet album, ce serait cette chanson.
I was central / I had control / I lost my head / I need this
Country feedback
Out of time apparaît un peu comme un disque à la croisée des chemins, qui semble aussi traduire la volonté du groupe de ne pas se laisser déborder par son succès. Paradoxalement, l’album ne fera que multiplier celui-ci de façon exponentielle, Out of time décrochant un carton monumental hors de toutes proportions avec la pourtant brillante carrière commerciale de Green. Le groupe se paiera le luxe de ne pas tourner avec cet album, là encore comme pour se protéger. Out of time annonce surtout – par ses teintes orchestrales, par l’anthracite qui colore certains de ces morceaux – l’épisode suivant de la discographie du groupe, leur plus beau disque : Automatic for the people. On y reviendra dans quelque temps…
Wow, jamais entendu Country feedback, et effectivement c’est dévastateur.
Hâte de te lire sur Automatic !
Merci. Tes commentaires sont toujours agréables et encourageants. Automatic… est un sacré morceau, je ne sais pas trop quand je m’y collerai mais c’est le prochain sur la liste dans ma remontée discographique de R.E.M.