Devo-lution rock
Devo Q : are we not men? A : we are Devo! (1978, Warner)
Mark Mothersbaugh et Jerry Casale se rencontrent sur les bancs de l’université d’État de Kent, Ohio, à la fin des années 1960. Ils se trouvent donc aux premières loges de la sanglante répression menée sur ce campus en 1970 par la Garde Nationale contre une manifestation pacifique d’étudiants venus protester contre la situation au Vietnam, répression qui causera quatre morts parmi les manifestants. Ces événements dramatiques exacerbent la vision critique de la société américaine portée par Mothersbaugh et Casale qui fondent Devo en 1972, assistés de trois autres musiciens. Le groupe développe sa théorie de la “dé-évolution”, selon laquelle l’humanité serait en régression et le progrès un leurre, comme l’attestent le conformisme et le manque d’ouverture de la société américaine. Au cours des années 1970, Devo multiplie les moyens d’expression, cinéma, performances et musique. Le groupe se constitue une identité visuelle forte, chaque membre s’affublant sur scène d’uniformes jaunes identiques pour exécuter de drôles de chorégraphies robotiques et futuristes. Devo se fait remarquer par David Bowie et Iggy Pop qui permettent au combo de décrocher un contrat chez Warner pour un premier album Q : are we not men? A : we are Devo! , déjà précédé par une série de 45 tours remarqués.
Musicalement, Devo se situe pleinement dans la mouvance punk et new wave alors en pleine explosion. Riffs comme des coups de trique, rythmiques épileptiques, Devo délivre une musique tendue, nerveuse, presque incommodante par moments, dont la rigidité peut s’apparenter à celle des Talking Heads ou des Anglais de Magazine. Le groupe se singularise par la place accordée aux synthétiseurs, peut-être inspiré par la présence aux manettes d’un maître en la matière, Brian Eno. Ces choix musicaux collent parfaitement au propos de Mothersbaugh et Casale, dénonçant l’aliénation de vies robotisées, déshumanisées.
Même si un ou deux morceaux s’avèrent au final plus rebutants que dérangeants, l’ensemble est une vraie réussite. Le disque s’ouvre sur l’énergie à peine canalisée d’Uncontrollable urge et se clôt par un Shrivel up au sourire narquois. Entre les deux, Devo se sera confronté avec culot à une reprise déstructurée et absolument formidable du (I can’t get no) Satisfaction des Rolling Stones, mettant réellement ce morceau la tête à l’envers. Le groupe fait preuve à l’occasion d’une ironie mordante comme sur le très politiquement incorrect Mongoloid et son refrain tordu à reprendre en choeur : “Mongoloid, he was a mongoloid / Happier than you and me”. Devo place aussi sur le disque son morceau manifeste, Jocko homo que le public reprendra dans leurs concerts : “Are we not men? / We are Devo”. On accordera aussi une mention au génial Gut feeling / Slap your mommy (ce titre, encore !), sarabande possédée de derviche tourneur dont on pourrait retrouver des échos dans les montées de sève du premier Feelies.
La carrière du groupe fut longue et j’avoue n’en rien connaître ou presque, du moins avant la préparation de cet article. Devo décrocha un véritable succès public avec le single Whip it, figurant sur son troisième album, Freedom of choice (1980). Le succès fut de courte durée et Devo semble avoir enchaîné les albums au long des années 1980, sans trop savoir se renouveler. Le groupe finit par se séparer à l’entame des années 1990 avant de retrouver l’envie (ou d’avoir besoin d’argent) au mitan des années 1990. Finalement, Devo n’est pas mort et a lui aussi bénéficié d’un revival, se reformant pour un nouvel album paru l’an dernier, Something for everybody, et se produisant dans les gros festivals avec succès, recyclant son imagerie et ses chorégraphies déjantées. J’essaierai de jeter une oreille sur tout cela à l’occasion pour écouter si cela en vaut la peine…