Un homme, un vrai
Albin de la Simone Un homme (2013, Tôt Ou Tard / VF Musiques)
Il y a quelques mois encore, Albin de la Simone n’était à mes yeux qu’une sorte de silhouette, un homme de l’ombre aperçu au fil des années aux côtés d’une pléiade d’artistes, en tant qu’arrangeur, producteur ou instrumentiste. Depuis ses premières armes fourbies au début de ce siècle, on avait vu le bonhomme accompagner aussi bien Mathieu Boogaerts que Vanessa Paradis, Alain Chamfort que Jeanne Cherhal, JP Nataf qu’Iggy Pop (et oui !). Parallèlement à cette foisonnante activité de « side-man », Albin de la Simone conduisait une carrière d’auteur-compositeur bien remplie même si plutôt discrète. Outre trois albums solo enregistrés entre 2003 et 2008, le garçon commit ainsi – entre autres – une adaptation musicale pour jeune public du Carnaval des animaux de Saint-Saëns, une participation à la comédie musicale à succès Le soldat rose ou des incursions vers le classique en collaboration avec le pianiste Alexandre Tharaud. Cette silhouette longiligne laissait donc des traces, parfois sur des albums ayant compté pour moi (Le plaisir ou Plus de sucre par exemple) mais il aura fallu ce quatrième disque studio du bonhomme pour que son talent d’auteur-compositeur ne saute à mes oreilles.
Lassé d’imaginer mon frère / Mon frère en habit militaire / Mort avant l’heure, mort en plein air / Disparu derrière ses paupières / Dans la nature et la matière / Maquillé, déguisé, couché / A jamais sous le drapeau français
Mort en plein air
Avec Un homme, Albin de la Simone livre un modèle de chanson française fine et délicate en même temps qu’il décline dix portraits d’un homme d’aujourd’hui, plus gringalet aux pieds d’argile que fier à bras. En un peu plus d’une demi-heure, Albin de la Simone affiche un art raffiné et subtil de la mélodie juste, de l’arrangement bien coupé, du texte touchant mariant adroitement l’humour et la gravité. Le quadragénaire sait le plus souvent trouver la bonne distance entre la légèreté et la profondeur, pour que ses histoires souvent plombées (une fuite, un enterrement, des ruptures, des doutes à foison) ne pèsent jamais une tonne sur les épaules de l’auditeur. Et la mélancolie que ces chansons diffusent est distillée avec suffisamment de tact qu’elle n’obstrue jamais l’horizon, planant plutôt comme une brume sur le paysage.
Le jour se lève, elle évapore / La première femme de ma vie / Reviendra-t-elle si je m’endors ? / Me reparlera-t-elle ?
La première femme de ma vie
Dans un portrait que lui consacrait Libération, Albin de la Simone disait : « Qu’est-ce qu’être un homme ? C’est une question qui me fait beaucoup gamberger ». Elle l’aura en tout cas joliment inspiré et si cet album ne peut aucunement prétendre faire le tour de la question, il dessine au fusain des perspectives, des portraits, un champ de possibles, entre failles béantes, doutes corrosifs, petites bassesses et désir de mieux. Tantôt abordant des questions qu’on devine autobiographiques (sur le superbe Mes épaules dans lequel tout homme père et en couple approchant la quarantaine peut sans doute se projeter), tantôt endossant des rôles de composition, Albin de la Simone ne se départit jamais de cette drôle d’élégance désabusée, quelque part entre Alain Souchon et Alain Chamfort et aligne au final une pleine poignée de chansons remarquables. Outre le déjà mentionné Mes épaules, on mentionnera ainsi un duo à tomber avec la douce Emiliana Torrini, ce Moi moi à la somptueuse coda orchestrale. Ces envolées de cordes viennent soulever la nostalgie du magnifique « La première femme de ma vie » et illuminer la démarche chaloupée de l’irrésistible Tu vas rire, qui nous rappelle les belles heures du Katerine des Mauvaises fréquentations. La gravité de morceaux comme Mort en plein air, La fuite ou Ici hier n’en altère par ailleurs pas la beauté. Et le disque se termine sur le morceau Un homme, conclusion emplie de désarroi qui dévoile un homme justement, dans la vérité la plus nue de sa solitude.
Qui balle ovale, qui ballon rond / Pendant que tu sales trop, pendant que tu ponds / Un bouc, une bique, un barbe qui pique / Qui ronfle, qui soupire, qui pue, qui transpire / Qui chasse et qui pèche dès le dos tourné / Qui pour un coup de bêche a tout bousillé
Un homme
Parmi une scène française qui déploie ces derniers temps des trésors d’inventivité, le quatrième album d’Albin de la Simone brille en tout cas d’un éclat particulier, beau clair-obscur laissant entrevoir les pleins et les bosses d’un homme, un vrai.
3 réponses
[…] Albin de la Simone Mes épaules [2013, Un homme] […]
[…] au fil des albums commis en son nom un songwriter de haute volée. Sur son plus qu’estimable Un homme, le chanteur à particule ouvrait le bal avec cette splendide ballade condensant en à peine plus […]
[…] au fil des albums commis en son nom un songwriter de haute volée. Sur son plus qu’estimable Un homme, le chanteur à particule ouvrait le bal avec cette splendide ballade condensant en à peine plus […]