Le discret
Mathieu Boogaerts Super (1996, Remark Records)
Cela va faire bientôt 20 ans (Dieu que le temps passe vite) que Mathieu Boogaerts trace son atypique sillon dans le petit monde de la chanson française contemporaine. Depuis près de 20 ans, le garçon a semé une pleine poignée de chansons lunaires et tendres, profondes et légères à la fois, dont les traits souvent enfantins ne font que souligner la belle intelligence. On ne pourra que regretter que le bonhomme demeure confiné dans l’antichambre du succès public, trop discret sans doute pour conquérir les foules comme son compère de la première heure, Matthieu Chédid. Son humble présence dans la chanson d’ici s’avère pourtant précieuse et d’autres moins doué-e-s ont su faire appel à son talent pour nourrir leur répertoire, de Vanessa Paradis à Camélia Jordana.
Bon, bon, que vas-tu faire ? / Moi je vais prendre la mer / Rompons cette atmosphère / Marre d’être ton adversaire
Bon, bon
Après une enfance et une adolescence passées à Nogent-sur-Marne, Mathieu Boogaerts effectue dans sa jeunesse plusieurs séjours en Afrique et c’est à son retour du Kenya qu’il commence à mettre sur pied des maquettes. Il compose notamment le génial Ondulé, reggae élastique et tournicotant, qu’il accompagne d’un clip remarquable (réalisé par Émilie Chédid – sœur de et fille de) qui le voit en train de se faire couper les barbe et tignasse fournies qu’il a ramenées d’Afrique. Finalement signé sur une filiale de Polygram, le jeune homme enregistre donc ce Super au titre programmatique.
Tant de bazar que j’aimerais m’endormir / Bon, mais ce soir, j’en ai marre / Je ne veux m’y suffire
J’ai sommeil
Enregistré pour l’essentiel dans sa cave à Nogent-sur-Marne avec des moyens minimaux, Super affirme déjà une personnalité des plus originales. Dans la chanson française d’alors (celle naviguant hors des autoroutes boueuses de la variété d’alors), les influences de Boogaerts détonnent quelque peu. Là où d’autres lorgnent du côté du rock indépendant anglo-saxon, le garçon avoue une admiration inconditionnelle pour Bob Marley, Dick Annegarn, les musiques africaines et Michael Jackson. C’est tout cela qu’on retrouve passé à la moulinette d’une personnalité fantaisiste et rêveuse, fondu avec douceur et souplesse à l’aide de quelques instruments : une guitare acoustique, une basse, des claviers, une boîte à rythmes. On retrouvera donc des airs de bossa sur L’impact de nos ex, quelques arrangements jazzy, une relecture nue et émouvante de Bob Marley (Je me détends) et des petites perles pop éparpillées de-ci de-là (Ondulé, Tout a l’air du toc). L’économie de moyens présidant à la réalisation de l’album n’empêche pas Boogaerts de dévoiler une riche palette de tons et d’humeurs, et sous leurs allures futiles, ses chansons charrient leurs lots de fêlures et d’échardes. De sa voix haut perchée, souvent au bord de la rupture, le jeune homme expose ses états d’âme avec pudeur et humour, passant sans crier gare de l’allégresse à la mélancolie.
Accoudé à la fenêtre / Je regarde glisser la pluie / Qui tombe sur des têtes / Et sur des parapluies / Quelques minutes encore / A savourer l’orage / Plongé dans ce corps / Où ces chutes d’eau m’engagent
Les parapluies à fleurs
Parmi les plus belles réussites de l’album, on retiendra bien entendu les irrésistibles Ondulé et J’ai sommeil. Dans un registre beaucoup plus doux-amer, le superbe Bon bon (avec Matthieu Chédid à la guitare) nous nouera gentiment le ventre tandis que Bien nous fera justement nous sentir réellement bien. A côté de ces réussites, Super aligne malheureusement quelques morceaux plus brouillons qu’on pardonnera volontiers. Avec le recul, il est clair que ce disque constitue une forme de galop d’essai, le premier jet prometteur, touchant et engageant, d’un songwriter singulier. Après un deuxième disque mitigé, J’en ai marre d’être deux (1998), Boogaerts confirmera toutes les promesses entrevues ici avec l’épatant 2000 paru en 2002 et Michel (2005). Le dernier album en date du bonhomme date de 2012, s’appelle simplement Mathieu Boogaerts et tourne sur ma platine depuis quelques semaines.
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[…] un premier opus remarqué, même si inégal, dont il fût déjà question dans ces pages, Mathieu Boogaerts allait, comme tant d’autres, se prendre un peu les pieds dans le tapis du […]