Des états d’âme dans mon whisky

Jay-Jay Johanson Whiskey (1996, BMG)

Pochette de l'album de Jay-Jay Johanson "Whiskey" (le chanteur se tient face à l'objectif, en chemise blanche à manches courtes sur un fond bleu)

Dans sa ville de Skara, quelque part en Suède, le jeune Jäje Johanson se prend de passion pour le jazz dès l’âge de quinze ans. Ayant déjà tâté de plusieurs instruments depuis l’enfance, il intègre un temps un quartet de jazz durant ses études puis adopte peu à peu une approche plus solitaire de la musique, composant avec une boîte à rythmes et un synthétiseur. La découverte du fondamental Dummy de Portishead lui ouvre des horizons insoupçonnés et ses compositions lui valent d’être finalement remarqué par BMG qui le signe et publie son premier album, ce Whiskey à la toute fin de l’année 1996.

It hurts me so / To see you in that state you’re in / With a tear on your chin / Tell me please, what have I done ?

It hurts me so

Pendant quelques semaines, au début de l’année 1997, ce grand blond jusqu’à lors inconnu devint comme la tête de gondole de nos soirs mélancoliques, qu’on berçait volontiers de la suavité dandy toute fendillée du bonhomme. Avec son trip-hop au teint pâle, le Suédois faisait entrer dans notre discothèque des références alors inédites, de Chet Baker à Michel Legrand, et imposait son romantisme rêveur à nos oreilles qui ne demandaient rien d’autre. Le charme se dissipa un peu comme il était venu et au fil des mois puis des années, l’aura de ces airs doux s’estompa. Tant et si bien qu’alors que le garçon allait maintenir un rythme de production soutenu, alignant depuis ce disque inaugural une bonne dizaine d’albums jusqu’à aujourd’hui, je le perdais plus ou moins de vue, en entendant parler au fil de ma veille musicale sans jamais vraiment prendre la peine d’aller plus loin que le souvenir agréable mais un peu passé laissé par ce Whiskey. L’achat tout récent dans une brocante de son Spellbound de 2011 m’a donné envie d’y revenir…

The girl I love is gone / And things will never be the same / The emptiness inside grows stronger every night / And where are you to ease my pain

The girl I love is gone

Au final, les chansons de Whiskey ont conservé leurs arômes plus vivaces que je ne le pensais, dégageant toujours pour les meilleures d’entre elles le même charme capiteux. Johanson use de ses influences jazzy pour venir – en quelque sorte – alléger la trame trip-hop sur laquelle il s’appuie. Loin des atmosphères poisseuses et inquiétantes de Portishead ou de Tricky, les morceaux de Whiskey flottent avec une forme de grâce mélancolique qui les rend attachants. Et l’élégance brumeuse et romantique de ces morceaux en fait une bande-son de choix pour nos petites humeurs moroses, celles qui remplissent nos jours de grisaille et nourrissent nos états d’âme. Outre ses influences jazz, on retrouve aussi sur ce disque le passé de bidouilleur domestique de Jay-Jay Johanson et une forme de dépouillement sonore conférant à cette musique une touchante humilité, que les poses mélodramatiques que le garçon s’amuse à prendre à l’occasion ne parviennent pas à masquer. On insistera sur le « s’amuse » car le garçon affiche un vrai sens de l’humour qui lui permette de maintenir une distance bienvenue avec ses airs éplorés.

And I use to be a lover like no one before / And all the girls whispered and giggled and blushed when I passed / But I know it’s true that good things never last

I’m older now

L’album s’ouvre par sa pièce maîtresse, avec ce It hurts me so enfumé et vénéneux, basé sur un sample de Francis Lai, sur lequel la voix de crooner romantique du Suédois fait des merveilles. Au fil de l’album, Jay-Jay Johanson dispensera d’autres bienfaits de classe, comme ce The girl I love is gone au charme évanescent, qui prend soin de ne faire qu’effleurer les fêlures qui lui craquèlent le cœur. Sur I’m older now, Johanson sample une mélodie majestueuse de Michael Nyman pour laisser libre cours à sa nostalgie (d’à peine trentenaire) et le garçon a le bon goût de placer en bout de course une autre perle lumineuse, ce Mana mana mana mana au titre idiot mais qui prend plaisir à voleter tout gracieux en distillant des poussières de mélancolie dorée. Whiskey affiche néanmoins certaines limites qui le gardent à bonne distance des chefs-d’œuvre réussis par les grandes figures de la scène trip-hop de l’époque. Outre le fait que l’album est plombé par quelques morceaux apparaissant comme d’évidents titres de remplissage, des fillers comme diraient les critiques anglophones (Tell it like it is, l’instrumental creux Extended beats), l’évanescence de certains moments peine à laisser une impression durable, comme sur ce sympathique mais inoffensif I fantasize of you ou même sur l’emblématique So tell the girls that I am back in town qui pour le coup, a moins bien vieilli qu’on l’aurait pensé.

Every night I go out / And I must look like a fool / When I’m standing looking at the sky

Mana mana mana mana

Whiskey n’aura donc jamais été le disque de chevet qu’on aurait cru qu’il aurait pu devenir à sa sortie. Il demeure un album qui mérite néanmoins le détour mais qui, pour le coup, ne pourrait qu’injustement être l’arbre cachant la forêt de la discographie foisonnante du Suédois. On s’y penchera d’un peu plus près et on y reviendra un jour.

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