Plaisir partagé
Alain Chamfort Le plaisir (2003, Delabel)
Quand ce Plaisir est arrivé jusqu’à mes oreilles il y a quelques années, je ne connaissais pas grand chose de la discographie ou de la carrière d’Alain Chamfort, pas plus que n’importe qui en tous cas. Son œil malicieux et sa modeste élégance le rendaient néanmoins plus sympathique que beaucoup et surtout, le bonhomme pouvait se targuer d’avoir laissé derrière lui quelques chansons comme autant de fragrances subtiles sur lesquelles on prenait plaisir à se retourner, ces Traces de toi, Clara veut la lune ou Ce ne sera pas moi . A l’écoute de ce Plaisir venant après un silence discographique de plusieurs années qui semblait voué notre outsider de bon goût à un lent oubli, je ne m’attendais cependant pas à une telle révélation.
Entouré d’une belle équipe de fines lames de la musique d’ici (Albin de la Simone, Sébastien Martel) et secondé par un parolier en forme olympique (le fidèle Jacques Duvall), Alain Chamfort se hisse l’espace de ces treize (quatorze?) titres sur les cimes de son inspiration pour livrer une copie en tout point impeccable. Aux arrangements synthétiques qui habillaient l’essentiel de ses tubes d’autrefois, Alain Chamfort substitue des textures plus riches et plus belles, telles ces cordes vibrantes qui illuminent le somptueux Sinatra. Jouant à merveille de l’auto-dérision sans se départir de sa légendaire élégance, Chamfort offre un disque de rose et d’épine, effleurant avec une légèreté gracieuse les plaies et blessures que peuvent infliger les intermittences du cœur. Il le fait avec une espièglerie enfantine qui n’en rend que plus déchirantes encore des ballades abimées comme L’hôtel des insomnies ou encore le fantastique La saison des pleurs, sommet de poésie et de finesse rare dans la chanson d’ici.
Outre ces ballades soyeuses capables de vous faire vivre le grand frisson (cf. le final hérissant de Charmant petit monstre), Alain Chamfort dégaine quelques modèles de pop haut de gamme peu fréquents sous nos latitudes. On mentionnera en premier lieu le génial Le grand retour, introduction idéale pour ce disque de come-back, avec ses paroles à double sens (« C’est le grand retour d’un has-been superbe / Dont peuvent s’inspirer les idoles en herbe / C’est le grand retour longtemps redouté / D’un vieux menteur à la voix veloutée ») et son riff jubilatoire. Sur Les spécialistes, Chamfort convie la charmante April March pour un petit coup de griffe dansant aux critiques alors que Lili Shanghai impressionne par son agilité instrumentale digne d’un guerrier ninja. Il n’oublie pas non plus ses accointances gainsbouriennes avec ces chansons pétries d’allitérations et de figures féminines, des Beaux yeux de Laure aux Amies de Mélanie. Malgré quelques moments plus anecdotiques (Juste avant l’amour ou le néanmoins charmant Les amies de Mélanie), l’album maintient un niveau moyen très relevé, Chamfort se permettant même une étonnante trilogie (Les sirènes de l’amour) pour conclure en beauté cet épatant retour.
Malgré cette réussite artistique totale, le disque allait s’avérer un plantage commercial d’ampleur, conduisant son auteur à être (mal)proprement viré par son label d’alors. Alain Chamfort réussira à retourner cette situation en sa faveur et avec l’humour et l’élégance qui le caractérisent avec l’excellent clip des Beaux yeux de Laure, pied-de-nez brillant et bien dans le goût du bonhomme. Chamfort a en tous cas su rebondir, avec la parution en 2010 d’une biographie en chansons d’Yves Saint-Laurent Une vie Saint-Laurent avant de publier en ce début d’année un disque de duos avec des interprètes féminines Elles et lui, dont ce que j’ai pu écouté m’a l’air beaucoup moins intéressant.
On ne boudera pas néanmoins notre dose de Plaisir, sans cesse renouvelé à l’écoute de cet album réjouissant.
1 réponse
[…] silhouette longiligne laissait donc des traces, parfois sur des albums ayant compté pour moi (Le plaisir ou Plus de sucre par exemple) mais il aura fallu ce quatrième disque studio du bonhomme pour […]