Le bon air de la montagne
Tindersticks Falling down a mountain (2010, 4AD)
Il faut croire qu’avec eux, je finirai toujours par me faire avoir. Il m’aura fallu un certain temps avant de vraiment rentrer dans cet album et comme l’écoute menée en parallèle de leur tout dernier The something rain me laissait également un tantinet sur ma faim, je me résignais presque à ne plus espérer grand chose de la musique des Tindersticks. J’ai sans doute du alors baisser ma garde et c’est là que le groupe m’a pris par surprise en sortant de son jeu un atout plutôt insoupçonné de sa part : le swing ou le groove.
Alors qu’on a beaucoup chéri les Anglais pour leur sens de la ballade mélancolique majestueuse, leur distinction ombrageuse et leurs envolées de cordes épiques, on retrouve ici des Tindersticks sinon guillerets, du moins plus fantaisistes qu’à l’accoutumée. Quand on saura que la préparation de l’album fut marquée pour la bande à Stuart Staples par la douleur des décès d’Alain Bashung ou de Lhasa dont le groupe était devenu très proche, on s’étonnera d’autant plus de cette vitalité affichée, à moins justement que la présence de la mort ait donné envie aux Tindersticks de s’aérer un peu pour échapper à toute cette tragique pesanteur.
A vrai dire, on savait pour l’avoir tellement fréquentée que la musique du groupe était bien moins austère que sa réputation, bien plus colorée que le prétendaient ceux qui n’y voyaient que grisaille et noirceur. Falling down a mountain constitue en tous cas à coup sûr un des assemblages les plus hétéroclites que les Tindersticks nous aient donné à entendre, le groupe affichant une bienheureuse versatilité le long des dix titres qui composent cet album. On retrouve ainsi ici aussi bien un titre introductif tout en vibrations jazzy qu’un air de boléro aux ondulations gracieuses (She rode me down) ; aussi bien un entraînant et étonnant morceau de soul mâtinée de pop (Harmony round my table) qu’un trépidant Black smoke qui semble se déjointer au fur et à mesure qu’il s’emballe. Le groupe n’oublie pas pour autant ses fondamentaux et offre ainsi son lot de ballades bleu nuit ou mordorées, du fragile Keep you beautiful à l’onirisme cotonneux de Peanuts sur lequel Staples – en grand amateur de featurings féminins – convie cette fois Mary Margaret O’Hara. Alors certes, Falling down a mountain n’est pas l’album des Tindersticks qu’on recommandera au béotien avide de sensations fortes (qu’on renverra plutôt vers l’un des trois premiers opus du groupe) mais au final, on admirera la belle persistance du groupe, encore capable, dix-sept ans après ses premiers feux, de nous surprendre tout en se faisant plaisir. C’est déjà beaucoup.