Corps inflammables
Galaxie 500 On fire (1989, Rough Trade)
Au moment de l’écriture de ma chronique du – déjà remarquable – premier album de Galaxie 500, Today, j’envisageais de traiter l’ensemble de la discographie du groupe dans des délais assez rapprochés, et je m’aperçois aujourd’hui que six ans se sont écoulés depuis ce billet. Et quand on pense que ce deuxième LP du trio bostonien fête cette année son trentième anniversaire, on ne pourra que constater qu’on a vieilli. Cette musique, non.
Thinkin of blue thunder / Singin to myself / Thinkin how fast it moves / Feelin how it turns / I was singin somethin / Out on Route 128 / Thinkin how blue it looks / Singin out aloud
Blue thunder
Un an à peine après un premier album rempli de chansons lentes et brûlantes, Dean Wareham, Damon Krukowski et Naomi Yang – toujours accompagné de l’épatant Kramer à la production – reprennent peu ou prou les choses où ils les avaient laissées avec Today. Loin d’opter pour la rupture, Galaxie 500 choisit la voie du changement dans la continuité, s’appliquant à faire encore mieux ce qu’il faisait déjà très bien sur son premier opus. On retrouve ainsi ces guitares noyées de reverb, ce chant aigu et étranglé, cette torpeur velvétienne jamais somnifère, imposant au fil du disque une fascinante profondeur de champ. On retrouve surtout cette manière unique de sculpter l’atmosphère, de soumettre l’auditeur à sa propre vision du monde, trouble et troublée. Écouter les chansons d’On fire pourrait s’assimiler au fait pour un myope de retirer un instant ses verres correcteurs et d’accepter d’évoluer dans un environnement altéré par ses yeux déficients. Tout semble différent et les objets les plus familiers prennent des contours flous qui les rendent étranges et étrangers, tour à tour attirants et menaçants.
Why close your eyes to the sky today ? / Why do you cry today just because the sky is grey ?
Another day
Objets ou événements d’apparence triviale (le tonnerre, un arbre qui pourrit, une tempête de neige) prennent ainsi des teintes inédites (ce fameux Blue thunder par exemple), des formes inattendues, des ombres surprenantes. Galaxie 500 s’y entend à merveille pour faire vibrer l’espace autour de ses chansons, et souvent, les coups de cymbales frappés par Damon Krukowski semblent faire éclater des bulles de silence, projetant des gerbes ouatées qui diffractent les notes. Montrer le monde sous un autre jour, c’est peut-être simplement de la poésie.
Well I’m lookin at the snowflakes / And they all look the same / And the plows are goin by me / They’re playin some kind of game / Well you know we had a snowstorm / And the t.v. has gone wild
Snowstorm
On fire est en tout cas un album extrêmement cohérent, quasiment sans moments faibles (peut-être à la rigueur Tell me ou Another day, et encore) et qui regorgent de moments forts. Le groupe place d’emblée un atout majeur avec le génial Blue thunder, mélancolique et aérien et qui ne cesse de regarder vers le ciel et le blanc cotonneux des nuages. Le falsetto de Wareham flotte au-dessus du morceau qui se termine dans un crescendo instrumental formidable d’intensité. Ce mélange de tension et d’amplitude se retrouve de façon encore plus marquante sur le génial Snowstorm, qui débute comme un inédit du Velvet Underground avant de progressivement s’embraser et de brouiller les sens de l’auditeur, comme pris dans un blizzard sonore. A plusieurs reprises, le groupe s’attelle d’ailleurs à soumettre ses morceaux à un mode de combustion lente, prenant le temps de chauffer lentement l’ensemble pour le porter à l’incandescence. La mélancolie planante qui ouvre When will you come home se change ainsi peu à peu en rage souterraine qui habite le solo terminal de Dean Wareham. Sur Decomposing trees, le saxophone de Ralph Carney, fidèle accompagnateur de Tom Waits, vient se frotter à la matière instrumentale du groupe pour un final en apothéose. Et en fin de partie, Galaxie 500 place une formidable reprise du superbe Isn’t it a pity de George Harrison, confirmant – à la manière d’un Yo La Tengo – son goût pour la relecture hommage de qualité des chansons des gens qu’il aime. On conseillera d’ailleurs aux curieux d’aller écouter de ce pas leur fabuleuse reprise du Ceremony de Joy Division, qui figure d’ailleurs sur la version bonus du disque.
Why’s everybody actin’ funny ? / Why’s everybody look so strange ?
Strange
La carrière météorique du groupe se poursuivra encore un an, le temps d’offrir un autre excellent disque, This is our music, avant que le trio ne se délite. Chacun a vécu d’autres aventures depuis, qui valent le détour, notamment le précieux Dean Wareham, en groupe ou en solo. Mais on y reviendra sans doute un jour, dans six ans ou avant…