La vie devant soi

Eels Daisies of the galaxy (2000, Dreamworks)

Electro-shock blues, prédécesseur immédiat de ce Daisies of the galaxy, se terminait par un constat simple et impérieux : « Maybe, it’s time to live ». Mark Oliver Everett – alias E, accessoirement unique élément de ce groupe singleton – concluait donc cet album éprouvant, perclus de peine et de douleurs, par l’intention clairement affichée d’aller de l’avant, de se relever malgré les drames et les deuils. On ne pourra pas reprocher à E de ne pas avoir de la suite dans les idées, tant ce Daisies of the galaxy affiche une ambiance nettement plus solaire que son claustrophobe devancier. Mark Oliver Everett laisse derrière lui les cimetières, les couloirs d’hôpitaux et les chambres d’asiles pour enfin s’ébrouer en plein air et profiter d’atmosphères autrement bucoliques. La saynète pastorale illustrant la pochette annonce la couleur et, au fil des quinze chansons composant cet album, on croisera entre autres des oiseaux, des pâquerettes et des mulots, autant d’éléments bâtissant un décor plus lumineux et apaisé.

Packing blankets and dirty sheets / A roomful of dust and a broom to sweep up / All the troubles you and I have seen

Packing blankets

Eels reste également à l’écart des superproductions de son remarquable (et désormais classique) Beautiful freak. Bien au contraire, Mark Oliver Everett choisit une approche plus humble, plus organique, livrant un bouquet de chansons boisées aux atours d’une sobre subtilité. Guitare acoustique et piano constituent la trame de la plupart des morceaux, une fine palette d’arrangements venant leur conférer de l’épaisseur et les éclairer d’une lumière de printemps. La référence au printemps convient d’ailleurs parfaitement à mon sens, car si la douceur enveloppe la plupart des chansons, le fond de l’air peut se révéler frisquet et invite l’auditeur à ne pas trop se découvrir, au risque d’attraper un méchant coup de froid. Au détour d’un couplet ou d’un refrain, à l’instar d’un Randy Newman, Mark Oliver Everett laisse en effet régulièrement transparaître des idées plus noires que le pâle éclat recouvrant sa musique. Daisies of the galaxy apparaît ainsi comme un superbe disque d’après la catastrophe, un disque convalescent qui tracerait quelque chose comme le chemin d’une guérison. Après les tragédies et les épreuves, ces chansons donnent à voir un homme qui reprend pied peu à peu, certes chamboulé par ce qu’il vient de traverser mais bien résolu à ne pas laisser échapper les beautés de ce monde et à célébrer la vie qu’il a devant lui, malgré tout.

Heat is rolling in like hell’s red rug / Stinking like the breath of Beelzebub / And if you think you won’t walk on coals, you will

Flyswatter

Se dégage ainsi de nombre de ces morceaux une forme de sérénité un peu chancelante, quelque chose comme un étonnement ébloui mais lucide devant ce que réservent le présent et l’avenir. C’est ce qui se joue, par exemple, sur le très beau Packing blankets, ballade ensoleillée qui invite littéralement à un nouveau départ, en aérant la pièce et en y passant un bon coup de balai. Ces tonalités bucoliques et acoustiques se retrouvent sur d’autres morceaux de fort belle facture, de l’impeccable Wooden nickles à l’élégiaque Selective memory, chanson piano-voix qui se pare de discrets arrangements orchestraux. Cette riche instrumentation se retrouve sur l’introductif Grace Kelly blues, qui s’ouvre sur un air de fanfare avant de se parer des atours d’une folk-song contemplative sur laquelle souffle la grâce d’une steel-guitar que n’aurait pas reniée Lambchop. Eels n’oublie pas pour autant d’intégrer des morceaux plus groovy, se rappelant sans doute des comparaisons avec Beck qui fleurissaient lors de la parution de Beautiful freak. La référence tient d’ailleurs encore sur l’irrésistible Mr. E’s beautiful blues ou le génial Flyswatter, qui tourbillonne sous nos yeux comme la brise fait tournoyer pétales et senteurs dans une prairie fleurie. Au final, l’album parvient à conserver une cohérence d’ensemble sans rien céder à la monochromie, tout cela grâce à la variété qu’insuffle Mark Oliver Everett, passant de la pop fantaisiste et dégingandée de Tiger in my tank à la nudité touchante de It’s a motherfucker ou à la délicatesse de Jeannie’s diary.

When I was a baby / We would go out to the park / And sit out in the fountain / Splashing ’round until it’s dark / The days go on forever / When you only know that much / And everything you need to know / Is answered with one touch

Selective memory

A l’instar de Electro-shock blues, Daisies of the galaxy est un disque qui semble se bonifier avec le temps. Après des débuts éclatants avec Beautiful freak, Eels démontrait sa capacité à tenir la distance et affichait une épaisseur remarquable. Le groupe construit depuis maintenant bientôt 30 ans (punaise!) une discographie qui mérite le détour, au sein de laquelle Daisies of the galaxy affleure comme un sommet discret et précieux. Un nouvel album est d’ailleurs annoncé avant l’été.

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