Rufus Wainwright Poses (2001, Dreamworks)
Trois ans après son coup de maître de premier album, dont j’ai déjà eu le loisir – et le plaisir – de parler dans ces pages, le petit prodige américano-canadien doublait brillamment la mise avec ce remarquable deuxième opus. La question est éternelle quand on a aussi bien réussi ses débuts : comment être à la hauteur de ce qu’on a déjà donné et des attentes désormais placées en vous ? Beaucoup n’ont jamais su trouver la réponse, pas Rufus Wainwright qui relevait le gant avec brio et confirmait tout le talent qui éclaboussait son premier LP.
There’s never been such grave a matter / As comparing our new brand name black sunglasses / All theses poses, such beautiful poses / Makes any boy feels as pretty as princes (Poses)
Poses
Le jeune homme n’allait pas choisir la révolution de palais ou la remise en question radicale. Quand on est aussi à l’aise en haute altitude, pourquoi redescendre et secouer le nuage au risque de s’écraser ? Les 13 chansons de Poses naviguent ainsi peu ou prou dans les mêmes eaux que celles de Rufus Wainwright. On retrouve les penchants de leur auteur pour les musicals de Broadway, le cabaret, l’opéra et la musique classique mais aussi toute une pop orchestrale aux idées larges qui irait de Brian Wilson à Divine Comedy. Toutes ces références pourraient peser trop lourd sur les épaules de Wainwright mais ce serait sans compter sur la maestria d’un songwriter de haut vol. Comme beaucoup de surdoués, le garçon est parfois tenté de trop en faire, approche les limites de l’emphase, frôle l’indigeste et la surcharge instrumentale mais parvient à chaque fois à redresser la barre à temps. Il en vient au final à épater le plus souvent par la souplesse de son geste (cf. le félin « Shadows« ), la grâce de ses mouvements, la fluidité de ses choix et s’en vient briser nos barrières par un romantisme tantôt lyrique, tantôt mutin, au bout du compte irrésistible.
I could be a great star / Still I’m far from happy
Shadows
Si Poses ne constitue pas une rupture par rapport à son prédécesseur, il n’en est pas non plus la copie. Rufus Wainwright entraîne avec lui une troupe impressionnante de collaborateurs, mobilisant plusieurs producteurs, un nombre conséquent d’instrumentistes et de précieux collaborateurs, tels Teddy Thompson (le fils de Richard & Linda, rien moins) ainsi que sa fidèle sœur, Martha Wainwright. Peut-être du fait de cette profusion d’invités, le disque propose des paysages plus variés que son devancier, même si moins vertigineux il faut bien l’admettre. Poses prend ainsi des contours plus pop, plus directs et des chansons comme l’entraînant California ou Shadows figurent de véritables tubes en puissance. Sur le merveilleux Greek song, Wainwright vient poser des arrangements entre l’oriental; le byzantin et l’extrême-oriental pour un résultat beau à tomber. L’introductif Cigarettes and chocolate milk évoque le meilleur de Divine Comedy et l’apparente légèreté du texte dans lequel Wainwright semble se moquer gentiment de son penchant pour les addictions (la cigarette, le chocolat, les beaux garçons) prend une toute autre teinte quand on sait que c’est à cette époque que le garçon devenait dépendant à la méthamphétamine. En vrai romantique, Wainwright chavire nos petits cœurs tout prêts à fondre sur le splendide Poses, l’exquis Rebel prince ou un In a graveyard tout un recueillement religieux. Parmi les hauts faits de l’album, on ne pourra décemment pas passer sous silence l’extraordinaire The tower of learning, dérive nocturne dont le rythme semble scintiller comme les lumières de la ville. On retiendra aussi cette magnifique réappropriation d’une chanson du paternel, Loudon Wainwright III, ce One man guy tout de ferveur qui démontre que le garçon sait aussi faire sien les habits folk de ses parents.
I don’t know why I’m a one-man guy / Or why I’m a one man show / But these three cubic feet of bone and blood and meat are all I love and know
One man guy
S’il n’atteint pas tout à fait les imposants sommets de Rufus Wainwright, Poses n’en demeure pas moins encore aujourd’hui un disque de grande qualité. J’avoue avoir peu à peu perdu de vue le garçon au fil des années, un peu déçu par des albums qui, pour receler encore quelques grands moments (qui pourrait résister à The one I love par exemple), allaient s’avérer trop moyens pour quelqu’un de sa stature ; et j’avoue n’avoir même pas écouté ses deux derniers albums solo. Je savoure par contre toujours sans retenue la folle distinction de ses deux premiers disques.