Le moissonneur
Neil Young Chrome dreams II (2007, Reprise)
Cet homme n’en finira donc jamais de m’épater. Mes quelques lecteurs savent (s’ils sont assidus) l’amour que je porte à l’œuvre du bonhomme, sur la foi de quelques anciennes chroniques. J’avoue cependant que depuis le moyen Are you passionate? de 2002, je n’avais guère suivi les dernières pérégrinations de Neil Young. Ses disques parus au cours des années 1970 suffisaient amplement à lui conférer une actualité perpétuelle dans mon quotidien. L’écoute de Chrome dreams II m’a démontré que le Canadien n’avait pas perdu la main, loin de là.
Présenté comme la suite d’un projet mort-né en 1977, Chrome dreams II est avant tout un grand disque de Neil Young. Depuis quand d’ailleurs ne l’avais-je trouvé aussi inspiré? Sleeps with angels (1994) ? Rust never sleeps (1979) ? Peut-être bien…
Pas de surprise à proprement parler ici. Neil Young n’a pas cédé à la mode fluo et ne fait pas encore du R’n’B. La surprise (mais ce n’en est pas vraiment une) est de voir à quel point ce type est capable de continuer à creuser le même sillon avec la même intensité, comme un paysan récoltant chaque année les fruits de sa terre, terre demeurant fertile malgré les années d’exploitation.
On a plaisir à retrouver ici le Neil Young dual, comme dans ses chefs-d’œuvre seventies. Il alterne ainsi ballades bucoliques ligne claire tirée de la matrice Harvest (Beautiful bluebird, Shining light) et grands coups de grisou, tempêtes électriques furieuses à décorner les bœufs. Young aligne ici deux faits d’armes déjà appelés à prendre place aux côtés des légendaires Cortez the killer, Cowgirl in the sand ou Change your mind. D’abord, Ordinary people, morceau fleuve de 18 minutes, dense et ombrageux, porté par une inattendue section de cuivres, qui parvient à nous tenir en haleine sur la durée et à nous faire accepter un solo de saxophone qu’on aurait trouvé peut-être bien vilain ailleurs. Il y a ensuite le génial No hidden path, qui nous offre la joie de retrouver la guitare convulsée de Neil Young, incisive et rageuse comme aux plus belles heures. Si on relève en outre que l’album contient l’excellent Boxcar, condensé de folk des grands espaces, le fulminant Spirit road à la ferveur toute électrique, et se termine par le sublime The way, lâcher d’étoiles scintillantes accompagné d’une chorale séraphique, on ne pourra que reconnaître qu’on tient ici un Neil Young de haute volée.
Ainsi, à plus de soixante balais, pas fluo pour deux sous (voir les photos du livret), Neil Young demeure ce totem profondément ancré dans la musique populaire, capable de produire un disque dont la force brute et l’esprit fauve enfonce sans coup férir une bonne partie de la production contemporaine. Plutôt que de gérer en rentier les dividendes de sa légende comme tant d’autres, Young demeure ce moissonneur infatigable, toujours en mouvement, toujours en quête de nouvelles récoltes.