Mes amours francophones : 190-181
190. Pauline Ester Une fenêtre ouverte (1990)
Parmi la série de tubes alignée par cette Toulousaine au tournant des années 1990, pour certains franchement dispensables (cf. l’agaçant Oui, je l’adore), la jeune femme peut porter haut à son revers cette merveille de mélancolie ensoleillée. Composé comme ses autres hits par son compagnon de l’époque Frédéric Loizeau, ce morceau passe comme une brise d’été traverserait la pièce et ferait remonter à la surface du cœur un bouquet d’idées sombres. Avec sa rythmique bossa parcourue d’arpèges limpides de guitare acoustique, Une fenêtre ouverte est un bel exemple de chanson s’ajustant à toutes les saisons, convenant autant aux soirées tièdes et moites d’un été dépressif qu’aux après-midis d’automne pluvieux. Pauline Ester livre une interprétation parfaite de justesse, collant à merveille à la finesse du morceau. Celui-ci s’écoule comme l’eau d’une fontaine, un courant d’air frais nous fait frissonner, un vol d’oiseaux s’en va au loin. Au final, cette chanson d’apparence anodine aura charrié mille images et nous aura joliment froissé le cœur.
- Une fenêtre ouverte
- Et aussi : un autre classique de bossa à la française avec Henri Salvador et son Jardin d’hiver
- Bonus : si vous vous demandez ce qu’est devenue Pauline Ester, un article d’octobre 2017 de La dépêche du Midi vous en apprendra plus
189. Les Calamités Vélomoteur (1987)
Outre le halo de gloire dont cette chanson m’aura recouvert à jamais pour m’avoir fait gagner le concours de chant du Club Fripounet, ce Vélomoteur constitue toujours une mécanique pop parfaitement huilée qui vaut bien mieux que l’image de variété niaiseuse que lui collent encore certains malentendants. Malgré une production très 80’s, la chanson aligne suffisamment d’atouts et de fraîcheur malicieuse pour réjouir l’amateur de pop : riff de guitare ligne claire, guirlande de claviers, harmonies vocales et « pa pa pa » irrésistibles à reprendre en chœur. On en profitera plus volontiers sans casque, sur une route de campagne, le vent soufflant à nos oreilles. Pour la petite histoire, après un premier album paru sur le légendaire label New Rose en 1984, le groupe de Beaune s’était séparé avant de se reformer partiellement sur l’insistance d’un certain Daniel Chenevez – moitié masculine de Niagara qui officie ici la production – pour au final décrocher son seul véritable tube alors qu’il n’existait quasiment plus. On n’a jamais autant apprécié la mobylette.
- Vélomoteur
- Et aussi : Toutes les nuits
- Bonus : Vélomoteur vu par l’ami Vivonzeureux
188. Orelsan Soirée ratée (2009)
Il y a bien des façons de s’identifier à une chanson – comme à toute création. Je n’ai pour ma part jamais éprouvé un besoin marqué de reconnaître mon quotidien dans les œuvres que j’apprécie. Il arrive cependant parfois que les planètes s’alignent et qu’un artiste semble effectivement avoir pris des notes pour raconter certaines périodes de votre vie. Foin des petites pudeurs, Soirée ratée d’Orelsan me renvoie des années en arrière, croquant avec ce qu’il faut d’auto-dérision lucide la répétition des fêtes alcoolisées des samedis soirs provinciaux, les éclats de rire et les gueules de bois, toutes ces tentatives maladroites pour fracasser la solitude mais aussi ces amitiés indéfectibles bâties dans le flou de nos nuits. On n’est pas fier de tout mais c’est le chemin qu’on a pris et qui nous a construit, pour le meilleur et pour le reste. C’est aussi pour ça – en sus des punchlines, du flow et de la production impeccable de Skread, parfait metteur en son de ces histoires bancales – qu’on aime Orelsan.
- Soirée ratée
- Et aussi : Différent
- Bonus : un portrait de Skread, le producteur indispensable d’Orelsan
187. Hubert-Félix Thiéfaine Les dingues et les paumés (1982)
Souvenir de jeunesse également que cette chanson de Thiéfaine, dont j’ai usé un best of une paire d’années avant de le remiser dans un coin pendant longtemps. Au moment d’élaborer ce classement, plusieurs chansons du bonhomme me sont revenues quasi spontanément et au final, c’est bien Les dingues et les paumés qui a laissé la trace la plus vive. Sur ce morceau de rock atmosphérique, pas si éloigné des plages désolées arpentées par The Cure sur Faith et Seventeen seconds, Thiéfaine se montre fidèle à son image, ce lyrisme de poète maudit bercé des noirceurs de Baudelaire ou de Lautréamont. Au-delà de cette imagerie, la chanson se révèle un saisissant voyage mental, vertige hallucinatoire tout en alexandrins charriant une cargaison de visions effarantes. Le chant impavide de Thiéfaine se mêle aux volutes serpentines de la guitare pendant qu’une rythmique mécanique vient renforcer le côté hypnotique de l’ensemble. Comme chez Goya, « le soleil de la raison engendre des monstres » : « Les dingues et les paumés s’arrachent leur placenta / Et se greffent un pavé à la place du cerveau / Puis s’offrent des mygales au bout d’un bazooka / En se faisant danser jusqu’au dernier mambo. »
- Les dingues et les paumés
- Et aussi : Lorelei sebasto cha
- Bonus : Hubert-Félix Thiéfaine raconte sa Vie en musique dans l’excellente série du même nom sur le site de Télérama (avec une mention spéciale pour Les dingues et les paumés)
186. IAM Elle donne son corps avant son nom (1997)
Avec cet extrait de leur emblématique École du micro d’argent de 1997, les Marseillais d’IAM proposaient un petit bijou de rap old-school combinant une brochette d’ingrédients de premier choix. Il y a d’abord cette formidable narration, relation pleine d’humour du sort de deux pigeons joliment arnaqués et qu’Akhenaton et Shuriken prennent un plaisir communicatif à interpréter (ces onomatopées de grands benêts qui ponctuent un bon nombre de vers !). Il y a surtout cette merveille de boucle de cordes chipée à un trésor caché que la soul 70’s produisait à la chaîne, avec ce I hate I walked away de Syl Johnson qui confère tout le brillant et la dramaturgie nécessaires pour captiver l’auditeur et lui donner envie de savoir ce qui va bien pouvoir arriver aux deux lourdauds. Au final, un irrésistible chef-d’œuvre de rap régressif, au groove addictif baigné d’auto-dérision.
- Elle donne son corps avant son nom
- Et aussi : Je danse le mia
- Bonus : 5 choses que vous ignoriez peut-être sur L’école du micro d’argent
185. Holden Madrid (2006)
C’est une chanson pleine de mystères, qui semble chercher à toute force à nous perdre dans ses méandres brumeux et sa mélancolie mordorée. Entre deux plages de guitares fumigènes irradiant de reverb, des claviers vaporeux transportent la voix étale et doucement rêveuse d’Armelle Pioline qui énonce des paroles emplies de fascinantes images, où il est question d’un couple de filles, d’un rendez-vous manqué, d’une ville saupoudrée de sucre, d’impasses et d’anges veillant sur les toits. Fascinant film à ellipses, Madrid dévoile ses paysages urbains par bribes impressionnistes et convoque les fantômes de Morricone, avant qu’un solo de saxophone d’une belle élégance vienne renforcer l’éclat de ces trottoirs mouillés.
- Madrid
- Et aussi : C’est plus pareil
- Bonus : un article de 2011 « Un duo, trois chansons : portrait des Français pop-rock de Holden »
184. Étienne Daho Des attractions désastre (1991)
Première occurrence du grand Étienne dans ce classement, Des attractions désastre est bien un morceau emblématique de Paris, ailleurs, disque hédoniste branché directement sur l’énergie des rues new-yorkaises. Avec son interpellation introductive en forme de signature, Des attractions désastre donne à entendre un Daho débordant de confiance et de désirs et bien décidé à embrasser la vie à pleine bouche. Musicalement, la chanson tourbillonne sur un lit de guitares fouettées grâce à l’apport magistral de l’impeccable Édith Fambuena, pièce ouvrière majeure de cette roborative réussite. « De la vie faire ripaille » proclame le bel Étienne, et l’invitation est adressée avec tant d’entrain qu’on ne peut qu’y souscrire.
- Des attractions désastre
- Et aussi : Saudade
- Bonus : en 2016, Laure Adler recevait Daho pour son émission Hors champs sur France Culture
183. Laurent Voulzy Paradoxal système (1992)
J’ai noué au fil des ans une relation un brin ambivalente avec les chansons de Laurent Voulzy, un mélange d’attraction-répulsion mêlant reconnaissance pour un talent de mélodiste hors pair avec l’impression de me faire parfois doucement endormir par ces airs lénifiants, auxquels il semble toujours manquer la pointe d’ironie qui relève une bonne partie de ceux de son compère Souchon. Parmi les vraies réussites du bonhomme, j’avoue ici une éternelle affection pour cette chanson qui ne manque pas de chambouler mon petit cœur d’artichaut. Qui a connu les douleurs de la séparation, les affres du manque et les langueurs des amours à distance ne saurait rester insensible à ces mots qui visent juste. Sous l’enveloppe de froideur synthétique édifiée par les nappes de claviers, on aperçoit une flamme comme blessée par le froid, dont la petite lueur rouge demeure vaillante – sans qu’on puisse savoir vraiment combien de temps elle pourra résister. Et même les chœurs vaporeux à outrance qui polluent la fin du morceau ne parviennent pas à en salir la beauté.
- Paradoxal système
- Et aussi : Le rêve du pêcheur
- Bonus : dans cet entretien de 2012, Laurent Voulzy confessait l’affection particulière qu’il porte lui aussi à ce morceau
182. Les Innocents Love qui peut (2015)
Groupe ami et aimé depuis ses débuts avec Jodie (nous y reviendrons), les Innocents confirmaient l’exemplarité de leur parcours avec leur très réussi disque de come-back, ce Mandarine paru il y a trois ans. Au milieu de ces morceaux à combustion lente, Jipé Nataf et Jean-Christophe Urbain plaçaient cette merveille de folk-pop acidulé, formidable chanson-flèche qui dessine une trajectoire rectiligne pourtant très loin de la monotonie. Tandis que la rythmique avance bille en tête, les voix des deux compères retrouvés se mêlent en harmonies subtiles tandis que la guitare brode d’aériens motifs, et un texte plein d’allitérations s’écoule avec la clarté de l’eau vive. Se dégage de l’ensemble un réjouissant mélange de mélancolie et de sérénité, d’unité et d’abandon et le plaisir de retrouver un groupe qui se révèle de plus en plus précieux avec les années.
- Love qui peut
- Et aussi : Philharmonies martiennes
- Bonus : une version acoustique du morceau jouée en session pour Quai Baco
181. François & the Atlas Mountains Cherchant des ponts (2011)
Figure majeure de la scène hexagonale de ce début de siècle, le groupe mené par François Marry se révélait au grand monde avec son troisième album, E volo love, paru en 2011. Porté par le single Les plus beaux, le disque s’avérait – et s’avère encore – un formidable recueil de chansons pop haut de gamme, au milieu duquel scintillait ce somptueux duo avec la magnifique Françoiz Breut (qu’on retrouvera plus haut). Comme de nombreux titres de l’album, le morceau balance entre la terre et l’eau et charrie dans son bouleversant ressac une part des tragédies du monde, évoquant avec finesse sous la douceur de sa poésie rien moins que les destins funestes de nombre de migrants et migrantes. Les arrangements de cordes sont particulièrement réussis et la clairière qu’ils ouvrent devant la voix de Françoiz Breut quand celle-ci entre en scène après une minute mérite tous les hommages.
- Cherchant des ponts
- Et aussi : Le grand dérèglement
- Bonus : dans Le petit bulletin de Grenoble, on a aussi craqué pour cette chanson
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