Avant de terminer l’année, je vous propose ce soir de retourner trente ans en arrière en revenant sur ce millésime 1991, qui m’apparaît assez singulier à bien des égards. Trois immenses chefs-d’œuvre dominent mon top personnel et pourraient sans problème intervertir leurs places respectives dans mon classement, qui ne fait que figer l’humeur d’un instant. Au pied du podium, on trouve un disque devenu phénomène dont l’impact culturel éclipse tout le reste (Nirvana) mais qui demeure encore aujourd’hui un minerai aux radiations hautement radioactives. Hors ces quatre albums hors normes, on retrouve ici un combo d’outsiders néo-zélandais à l’excellence discrète (les Bats), d’autres ambassadeurs indés en route pour le triomphe commercial (R.E.M.) ou au bord de l’implosion (Pixies), deux figures de la pop d’ici (Daho et Murat) et un mastodonte en quête de renouveau (U2). J’avoue avoir eu du mal à trancher pour assigner les derniers strapontins et le banc des remplaçants s’avère assez fourni, entre Teenage Fanclub, Lloyd Cole, MC Solaar ou Bashung. Ils mériteraient tout autant leur place que certains disques présentés ici mais le jeu impose des choix. En tout cas, les trentenaires sont assurément fringants.
Haters gonna hate… mais Achtung baby est sans doute l’album de U2 qui tient le mieux la route, en plus d’avoir accompagné – comme pour tant d’autres – une bonne partie de mon adolescence. Après des milliers de disques écoutés, Achtung baby continue d’afficher une santé fringante, un goût du jeu inédit chez le groupe irlandais. Une tentative réussie de se régénérer en mettant les doigts dans la prise.
Moins immédiatement emballant que ses 3 prédécesseurs, marqué par l’antagonisme grandissant entre un Frank Black en mode dictateur et une Kim Deal réduite à la portion congrue, Trompe le monde s’impose de façon souterraine à nos oreilles et nos cerveaux. Les Pixies perdent en souplesse mais livrent leur album le plus claustrophobe et tordu, toujours chargé de ce surréalisme électrique qui les rend(ait) si singuliers.
Avec Paris ailleurs, Etienne Daho livrait un album hédoniste et direct, affichant haut et fort ses envies autant que ses fêlures, avec un mélange troublant de confiance en soi et d’humilité. Et réussissait la gageure de fédérer le grand public et les esthètes, à la fois populaire et exigeant.
Le manteau de pluie ou le meilleur du Murat première époque. Entre folk atmosphérique et variété synthétique, Murat expose toute la palette de ses états d’âme et nous livre un bijou de mélancolie romantique, parfait compagnon de nos légers froissements de cœur.
À la fois lumineux et incertain (les membres du groupe s’essayant notamment à permuter leurs instruments au fil des morceaux de l’album), Out of time apparaît comme un disque à la croisée des chemins, aussi fascinant par ce qu’il contient (les sommets Losing my religion ou Country feedback) que par ce qu’il annonce. R.E.M. y délaisse peu à peu la veine électrique de ses précédents disques pour une veine acoustique entre clair et obscur, et décrochera paradoxalement un succès monumental, aussi inattendu que mérité.
Les Bats creusent le sillon de leurs déjà formidables premiers LP mais gagnent en profondeur de champ sans perdre leurs merveilleux atouts. On retrouve ainsi ces mélodies fouettées par la tempête, ces harmonies vocales élevées en plein air. On y retrouve surtout une intensité de tous les instants, une fièvre qui habite les mots de Robert Scott et ces guitares convulsives dont l’éclat solaire ne peut masquer le tranchant. Un grand disque de pop atmosphérique, rempli d'orages et d'éclaircies.
Avec ce disque tellurique, aux mélodies trempées dans le métal fondu, le trio mené par Kurt Cobain allait produire une déflagration qui embraserait la jeunesse du monde entier autant qu’elle ferait s’effondrer les murailles séparant la scène alternative du mainstream, transformant pour un instant les éternels outsiders en icônes universelles. Reste ces chansons brûlantes comme le front d’un enfant malade, exsudant autant le mal-être générationnel qu’une forme de fragilité vibrante rougeoyant sous la colère.
Disque qu’on qualifierait paresseusement de séminal, Loveless est surtout un album d’une audace inouïe, jouissant de ses débordements sonores pour donner forme à un paysage jusque-là inédit. Comme les voix qui semblent surfer sur cet océan sonique, l’auditeur se trouve ballotté, secoué, aspiré par le fond avant d’être recraché sur la plage, haletant et brisé, et pourtant avec l’irrépressible envie d’y retourner toujours.
Comme je l’ai déjà écrit par ici : « Massive Attack frotte les soieries de la soul aux beats et au phrasé du hip-hop, la lascivité du dub au romantisme vertigineux d’envolées de cordes à faire dresser les poils d’un imberbe. Ce faisant, il crée un langage unique, aux formes belles et changeantes, recomposant le passé pour tracer une ligne bleue vers le futur. »
Après Spirit of Eden, Mark Hollis et ses acolytes s’en allaient définitivement et résolument vers le large, avec ce disque immense, d’une beauté sans équivalent et d’une hardiesse sans pareille. Entre psychédélisme, musique répétitive et compositions classiques, Talk Talk nous embarquait pour 6 pièces majestueuses, labyrinthiques et resplendissantes, un monde étrange et coloré comme la faune paradisiaque peuplant l’arbre de la pochette. Laughing stock ou une façon imparable de sans cesse partir vers l’inconnu, écoute après écoute.
J’avoue ne jamais avoir accroché totalement à “Screamadelica”. Le disque me monte à la tête à la longue. Alors OK pour “Loaded”, “Damaged” ou “Movin’ on up” mais sur la longueur, il y a toujours un moment où je lâche. Sans doute l’aurais-je davantage apprécié si j’avais été clubber à l’époque :-). Mais bon, une place dans le top 20 quand même.
Et pas de “Screamadelica”, même sur le banc des remplaçants ?
J’avoue ne jamais avoir accroché totalement à “Screamadelica”. Le disque me monte à la tête à la longue. Alors OK pour “Loaded”, “Damaged” ou “Movin’ on up” mais sur la longueur, il y a toujours un moment où je lâche. Sans doute l’aurais-je davantage apprécié si j’avais été clubber à l’époque :-). Mais bon, une place dans le top 20 quand même.