Le battement d’ailes du papillon
En Attendant Ana Principia (2023, Trouble In Mind)
Je m’attarderai ce soir sur un des mes coups de cœur de ce début d’année, ce remarquable troisième album des Parisiens d’En Attendant Ana dont la clarté et la finesse font ma joie depuis quelques semaines.
It takes both fools and kings / To face it all / The fights we’re meant to win / And the ones we lost
Fools and kings
Jusque là, je n’avais prêté qu’une attention distraite aux précédents LP du groupe, malgré l’excellente réputation acquise par le combo dans les cercles d’amateurs de pop-rock. J’avais écouté sans déplaisir l’indie-rock bon teint et les guitares échevelées de leur précédent opus, ce Juillet paru en 2020, mais sans pour autant que ces chansons parfois touffues parviennent à s’immiscer durablement dans les plis de mon cerveau. Mais il y a quelques semaines, le single Same old story découvert en éclaireur, avec ses allures de Stereolab sur coussin d’air, avait déjà largement piqué ma curiosité et laissait entrevoir un changement de braquet significatif. C’est peu dire que les beautés limpides de ce Principia ont confirmé ce pressentiment.
In what direction would I walk ? / Would I be circling ? / Staying in one parallel line / So that we would never meet / Gravity will bring us back / Down to earth
Principia
Alors que les guitares en cascade de Juillet formaient un treillis dont la densité faisait parfois obstacle à la lumière, le quintet parisien lui ouvre cette fois en grand portes et fenêtres. Ce faisant, la musique du groupe gagne en pureté et en contraste. La voix cristalline de Margaux Bouchaudon constitue toujours un atout de premier ordre et rehausse l’impression de légèreté qui émane de ces chansons, dont les beautés virevoltent autour de nous avec la gracilité d’un papillon. L’apport des cuivres – notamment du saxophone – renforce cette impression de fragilité vibratile, tandis que la basse de Vincent Hivert confère aux morceaux une assise hypnotique à la fois souple et robuste. Pour résumer, Principia est un disque de haute volée aux propriétés addictives incitant au prosélytisme. Le groupe livre ainsi quelques bijoux qu’on chérit déjà du plus profond de nos petits cœurs sensibles, comme ce To the crush qui convoque le meilleur des Sundays ou ce magnifique Fools and kings à la mélancolie majestueuse, qui laisse derrière lui toute forme de pesanteur. Ailleurs, En Attendant Ana place un Ada, Mary, Diane rempli de chausse-trapes et de virages en épingle, qui peut évoquer les figures aériennes d’un groupe comme The Orielles. Plus loin, le groupe greffe des ailes de fée au meilleur de Motorama sur l’épatant The cutoff puis abat toutes nos barrières le temps d’un Wonder miraculeux, qui débute ballade limpide avant de s’emballer pour un ébouriffant coda électrifié. Ce changement de direction à l’intérieur d’un même morceau pourrait d’ailleurs symboliser l’invention constante démontré par le quintet, qui truffe ses chansons de petites trouvailles sonores, comme autant de chemins buissonniers tracés à l’arrière-plan de chaque morceau. Et si la finesse de l’ensemble ne masque pas la mélancolie qui imprègne ces chansons, elle la tient à juste ce qu’il faut de distance pour qu’elle n’assombrisse pas le tableau outre-mesure.
The comfort of a throne / You have raised yourself to / Even if it cut your tongue / It will be worth to hum / Well the rest of us will sing another song
Same old story
N’étant pas journaliste musical, je rechigne généralement à traiter ici de l’actualité des sorties, préférant laisser infuser les disques avant d’écrire à leur propos. Ce Principia éclatant mérite bien que je fasse une exception.