L’éclaireur
Villagers Becoming a jackal (2010, Domino)
Si ma mémoire est bonne, j’ai d’abord croisé le nom des Villagers au détour d’un billet du blog – malheureusement en pause indéterminée – du toujours excellent Emmanuel Tellier, qui expliquait en quelques lignes bien tournées tout le bien qu’il pensait de ce Becoming a jackal. J’avais gardé le nom en tête, sans même y prendre garde, puis je suis véritablement tombé sous le charme de la musique de ces (cet en fait) Irlandais avec leur magnifique Darling arithmetic sorti l’an dernier. Je comptais d’ailleurs initialement me fendre d’un billet énamouré sur ce formidable album et puis, en remontant la discographie du groupe, le billet énamouré de ce soir concernera ce non moins formidable Becoming a jackal de 2010.
But the crowd’s are all laughing / At my every mistake / And its making my neck hurt / And I feel like a fake / How can I even stand here / Like I’ve something to say / I got nothing to say
I saw the dead
Comme The Divine Comedy de son indispensable compatriote Neil Hannon, Villagers est un groupe à membre permanent unique, le véhicule avec et le masque sous lequel Conor O’Brien donne libre cours à son inspiration. A peine sorti d’un précédent groupe, The Imemdiate, O’Brien se met à composer sous cet alias et fait paraître un premier 4 titres en 2009. Pour donner corps à ses créations sur scène, il assemble autour de lui quelques musiciens et s’en va arpenter les scènes nationales et internationales, tournant notamment en première partie de Tracy Chapman et des Tindersticks. La qualité de ses chansons ne passe pas inaperçue et les Villagers sont signés par le prestigieux label Domino qui fait paraître ce Becoming a jackal dans la foulée.
Farewell to my only friend / You’ve been so good to me / Now the carnival has ended / Let’s set the tigers free / The spring was always early / And the winter never came / But since I got this hunger / It just hasn’t been the same
Set the tigers free
Avec ce premier opus brillant, Conor O’Brien affirme une personnalité singulière et vibrante le campant déjà en songwriter qui compte. Du haut de ses 27 ans, le garçon n’est plus un perdreau de l’année et on sent ici un artiste fermement assuré de ses choix et de la direction qu’il veut prendre. L’Irlandais livre en tout cas un disque superbement inclassable, à la la fois pastoral et palpitant, qui tour à tour enveloppe et chavire, apaise et déchire. Et si une écoute distraite tendrait à rattacher ces onze morceaux à un registre indie-folk pour la prééminence accordée aux instruments acoustiques, la musique de Villagers étale des richesses et des raffinements qui la rendent bien plus complexe à étiqueter. Si on pense parfois au dépouillement effectivement folk du Mike Scott solo, on pense surtout à quelques fiers illuminés de la musique sans collier, comme le Canadien Patrick Watson ou l’Américain Andrew Bird. Ces chansons affranchies, subtiles et opulentes sous leurs atours faussement modestes, semblent de plus directement branchées sur l’âme et le cœur de leur auteur, dont les mises à nu nouent avec l’auditeur une proximité troublante, voire bouleversante. Quand O’Brien entonne ainsi sur un Pieces habité, “For a long long time / I’ve been in pieces”, on sent qu’il nous raconte quelque chose de lui et qu’il ne met pas en scène un personnage. Mais curieusement, ou plutôt par la grâce de son talent, cette forme d’impudeur n’apparaît jamais auto-complaisante ou exhibitionniste mais le rapproche du blues que le jeune homme admire. O’Brien chante ses fêlures et sa résilience, ses ombres et ses lumières, ses cauchemars et ses envies, sans affèteries, avec la simplicité désarmante de celui qui s’est beaucoup parcouru et qui sait que mystère et dévoilement ne sont pas forcément antinomiques.
So before you take this song as truth / You should wonder what I’m taking from you / How I benefit from you being here / Lending me your ears / While I’m selling you my fears (Becoming a jackal)
Becoming a jackal
C’est ce mystère qui agrippe l’auditeur dès les premières notes de piano qui ouvrent l’introductif I saw the dead, sur lequel O’Brien s’adresse directement à nous pour nous inviter à pénétrer dans un drôle de spectacle macabre, comme s’il voulait nous faire visiter un de ses mauvais rêves et l’interruption brutale finale du morceau peut alors sonner comme un brusque retour à la réalité. Les Villagers ne poursuivent cependant pas sur la voie presque “nick cavienne” et très proche des arabesques aériennes de Patrick Watson de ce morceau, préférant naviguer entre folk et pop le long des territoires en clair-obscur parcourus par O’Brien. La mélancolie qui émane des chansons est ici toujours baignée d’espoir, et O’Brien, tel un éclaireur, excelle à tirer de cette bile noire suffisamment d’huile pour maintenir sa lanterne allumée. Parmi les hauts faits de l’album, on retiendra ainsi la grâce et la finesse de Set the tigers free, tout de dépouillement résolu, ou la douceur bienveillante de Twenty seven strangers. Home sonne presque comme du Calexico dénudé, qui s’emploierait à jouer ses airs hispanisants dans les vertes prairies irlandaises. Le déjà mentionné Pieces brûle de toute sa fièvre pour une impressionnante confession tandis que The meaning of the ritual se veut en revanche empreint de recueillement sans lourdeur. Le sommet du disque demeure sans doute le morceau-titre Becoming a jackal, impressionnant tour de force mélodique, chanson bourrée de chausse-trapes et de fausses pistes autant que fascinante pièce fantastique et fantasmatique autant qu’interprétation toute personnelle d’un “devenir-animal”. Ce seul morceau suffirait à valoir de jeter une oreille sur ce disque et démontre toute l’originalité de la musique des Villagers.
You told me your past was taken by thieves / Since then you’ve been running in search of reliefs / You don’t know when it’s coming, I don’t know either / You’d be my master and I’ll be your fever
The pact – I’ll be your fever
Conor O’Brien poursuit sa route sous cette appellation, et la majesté encore supérieure du petit dernier Darling arithmetic l’a confirmé comme une des voix contemporaines à écouter. Becoming a jackal se termine par une douceur à la guitare acoustique intitulée “To be counted among men”, revendication élémentaire et essentiel ; pour ma part, Conor O’Brien a sa place chez les grands.
1 réponse
[…] pour le premier album du groupe (?) de l’Irlandais Conor O’Brien, ce remarquable Becoming a jackal de 2010. Je vous confierai ce soir l’amour immodéré que m’inspire ce formidable […]