Le chanteur de variétés
Miossec L’étreinte (2006, PIAS)
Alors que le bonhomme vient de faire paraître un douzième album – Simplifier – qu’on situera déjà dans le haut du panier de sa discographie, je reviendrai aujourd’hui quelques années en arrière pour m’intéresser à ce disque de 2006, lui aussi à ranger parmi les hauts faits du Brestois. Souvent occulté par son prédécesseur, l’excellent 1964, vraie réussite artistique et succès commercial, L’étreinte est un disque qui mérite que l’on s’y attarde et qui recèle quelques-unes des meilleurs chansons de Miossec.
Ne me secoue surtout pas car je suis plein de larmes / J’ai perdu la force de prendre les armes / J’ai perdu la foi j’ai perdu mon âme / Qu’est-ce qui a bien pu se passer / Depuis que je me suis fait licencier / Je perds la tête dans mes pensées / J’en oublie même de te toucher
La facture d’électricité
Après donc le très bon accueil reçu par son remarquable 1964, Miossec décidait de poursuivre peu ou prou dans la même veine, avec la volonté affirmée d’accompagner des textes toujours rugueux d’un écrin orchestral plus généreux. Si le précieux Joseph Racaille, à la baguette derrière les soufflantes de cordes de 1964, n’est plus de la partie, le Breton, toujours complexé par ses limites d’instrumentiste et de compositeur, s’adjoint les services d’une équipe de fines lames de la musique d’ici. On retrouve ainsi pêle-mêle l’impeccable Jean-Louis Piérot des Valentins, le Belge Stef Kamil Karlens des Zita Swoon ou l’inestimable Gérard Jouannest, pianiste légendaire aux côtés notamment de Brel ou de Juliette Gréco. Tout ce beau monde se presse autour des chansons du Brestois et l’aide à apporter un soin tout particulier aux arrangements et à la musique, compagne parfois négligée depuis les débuts fracassants que représentait Boire.
La mélancolie c’est communiste / Tout le monde y a droit de temps en temps / La mélancolie n’est pas capitaliste / C’est même gratuit pour les perdants / La mélancolie c’est pacifiste / On ne lui rentre jamais dedans
La mélancolie
Certes, on pourra toujours regretter l’acoustique bagarreuse et la fragilité fière-à-bras de son fondamental premier LP, mais il est acquis que le bonhomme sera indéfiniment renvoyé à sa retentissante entrée en matière. Au fil des années, Miossec semble plutôt avoir cherché à se frayer une place singulière dans la chanson d’ici, naviguant entre influences pointues héritées d’une jeunesse baignée de punk et de new-wave et tentations grand public (collaborations avec Johnny Hallyday, reprises de standards de variété). Le Brestois se sera surtout démarqué depuis toutes ces années par sa poésie âpre, une façon de brutaliser les mots et de traiter la chanson sans prendre de gants, sans chercher la joliesse et les bons sentiments, au risque parfois de se répéter et de verser dans la redite quand manque l’inspiration. Sur L’étreinte, le résultat s’avère heureusement largement positif. Et si l’album se révèle assez disparate, cette hétérogénéité s’avère finalement plus stimulante que dérangeante. Dès l’entame, Miossec cite Henri Calet dans un single pop taillé pour les radios et pétri d’autodérision (La facture d’électricité). Sur Mes crimes : le châtiment, le bonhomme fait se rencontrer l’acoustique cinglante de ses premiers essais avec les envolées orchestrales de 1964. Ce souffle tempétueux se retrouve aussi sur le superbe La grande marée tandis que Le loup dans la bergerie se pare d’ombres inquiètes et inquiétantes. Les thèmes abordés restent globalement les mêmes, ce portrait de l’homme occidental en animal mal fagoté, avançant tant bien que mal parmi les échecs et faisant face comme il peut au temps qui passe et à ses propres tares. Miossec se pare de suffisamment d’auto-ironie pour échapper à la complaisance (en général) comme sur ce Quand je fais la chose, bien loin d’un virilisme toxique. On retiendra par ailleurs particulièrement ce 30 ans offert par le grand Gérard Jouannest, tout de gravité sublime et, plus encore, le somptueux La mélancolie, un des sommets de la discographie du Brestois, envolée tremblante et rageuse d’une magnifique beauté blessée. On pardonnera dès lors volontiers les quelques scories qui troublent un peu l’ensemble, entre un L’amour et l’air bien plan-plan ou un Maman qui passe trop en force pour nous toucher vraiment.
Quand je fais l’amour / C’est dans des voitures et parfois au fond des bois / Quand je fais l’amour / J’appellerais bien les secours pour qu’ils me sortent de là / Quand je fais l’amour / Je me demande ce qu’il y a comme programme sur la 3
Quand je fais la chose
Un retour sur les années 2000 de Miossec se révèle finalement assez gratifiant. Sans retrouver la force de ses débuts, le Breton a réussi à aligner une suite de disques recelant chacun suffisamment de grands moments pour construire une discographie de fort belle facture. La suite sera plus inégale, mais encore une fois, le tout nouveau Simplifier démontre que Miossec a encore de la réserve. Un ami pour la vie…