L’ombre du vent
Dick Annegarn Un’ ombre (2002, Tôt ou Tard)
Après les formidables Approche-toi (1997) et Soleil du soir (2008), ma découverte désordonnée de la discographie de Dick Annegarn se poursuit avec cet Un’ ombre de 2002.
Bref rappel : après des débuts remarqués au mitan des années 1970 qui lui valurent son lot de petits succès – de Bruxelles à Bébé éléphant – , le grand Dick allait traverser la décennie 80 par des chemins de traverse, loin des autoroutes trop fréquentées de la variété française et du grand Barnum d’un music-business peu en phase avec ses aspirations. Sa signature sur le label “Tôt ou tard” et la réussite – artistique et publique – du somptueux Approche-toi permirent à Annegarn de revenir sur le devant de la scène en beauté. Ayant apparemment trouvé un contexte favorable à son expression créative, le bonhomme aligne depuis les albums avec une régularité de métronome.
Un’ ombre se présente comme un concept-album centré sur les hommes, Annegarn y évoquant plus clairement que jamais son homosexualité. On y rencontre donc des amants, corps désirables (Melchior) et rencontres d’un soir (C’est la misère célibataire). On y trouve aussi des amis pour qui l’on s’inquiète (Où es-tu Mohand ?) et plus largement, on y célèbre des hommes du monde entier, de préférence “suants et luttants” pour citer Annegarn lui-même.
Disque d’hommes, Un’ ombre – produit par l’inattendu Jean-Pierre Mader (!) – est aussi un disque voyageur, à l’image d’Annegarn lui-même, Hollandais de naissance vivant en Haute-Garonne mais perpétuel déraciné, étranger partout et partout chez lui, trouvant ses racines dans ce blues qu’on chante aussi bien en Amérique qu’en Afrique du Nord. Le magnifique Enfant sans mère exprime ainsi cet exil intérieur et la joie et la douleur mélangées d’être toujours loin de chez soi mais sans collier. On comprend pourquoi le sort des clandestins qui tentent de gagner l’Europe via le détroit de Gibraltar touche aussi Annegarn, le tempétueux Patera dressant un tableau saisissant de cette détresse : “A bâbord y a de l’eau jusqu’ Agadir / A tribord y a du grain jusqu’ Arrecife / Au milieu une barque dérive”.
Musicalement parlant, Annegarn délaisse les arrangements de corde lumineux d’ Approche-toi pour un bric-à-brac nomade, sur lequel les vents tantôt soufflent et cinglent (Patera), tantôt badinent gauchement (Puy de Dôme). Entre relents blues et éclaircies orientales (Où es-tu Mohand ?), Annegarn place aussi quelques incursions jazzy (l’inquiétant Un’ ombre ou l’assourdi Bouge ton boule), pour un disque qui sonne au final comme une brillante démonstration de musiques du monde non aseptisées, relevées à l’alcool fort d’une personnalité jamais lisse. Si Un’ ombre ne culmine pas aux hauteurs d’Approche-toi ou de Soleil du soir, il consacre s’il en était besoin la singularité d’un musicien rare, nomade à l’œil rieur et à la verve roborative.
Depuis Un’ombre, Dick Annegarn a publié trois autres albums : Plouc (2005), Soleil du soir (2008) et Folk talk en 2011.
2 réponses
[…] disques fort recommandables, dont certains ont déjà eu l’honneur (?) de ce blog, comme Un’ ombre (2002) ou le brillant Soleil du soir (2008). Le dernier disque en date du bonhomme, son Vélo va […]
[…] Bruxelles ou Sacré géranium qui firent son succès au début des années 1970. Je ratais aussi Un’ ombre (2002) et Plouc (2005) mais je fus heureux de recroiser le chemin du grand Belge en jetant mon […]