Une flamme au crépuscule
Miossec Brûle (2001, PIAS)
Avec son troisième album, A prendre, Miossec menaçait dangereusement de filer un mauvais coton. Même si le disque demeurait attachant par certains côtés, il devenait clair que le Breton commençait à tourner en rond et qu’on pouvait craindre pour lui qu’il ne finisse dans une impasse. Paradoxalement, A prendre avait cependant permis au Brestois d’élargir considérablement son audience et cet ancien auteur de génériques musicaux pour TF1 se retrouvait sollicité par quelques dinosaures de la variété française – Johnny en tête – pour verser un peu de son alcool fort dans leur eau tiède. Ces nouvelles sollicitations, combinées aux faiblesses de A prendre, faisaient germer quelques craintes dans notre esprit au moment de la parution de Brûle à l’orée de ce siècle.
J’ai déserté les champs de bataille / Les nuits que je connaissais trop bien / Je ne fais plus dans la canaille / Je suis plutôt devenu du matin / Et pendant que je baille / Je repense à tous mes Verdun / A mes Chemins des Dames / A mes Trafalgar de rien
Le défroqué
Miossec était en fait le premier insatisfait du résultat de A prendre, qu’il jugeait carrément « inaudible ». Le bonhomme entreprit donc d’opérer un sérieux ravalement de façade et envoya valser son entourage musical, à commencer par le fidèle Guillaume Jouan, collaborateur précieux depuis le fondamental Boire. Le risque était réel et la rupture fut difficile. Miossec s’en alla ainsi d’abord brûler un bon pactole en jetant purement et simplement à la poubelle les premières bandes de ce qui devait constituer son quatrième opus. C’est là où les rentrées d’argent procurées par ses collaborations avec quelques artistes « bankables » s’avérèrent une aubaine, lui permettant de repartir de zéro. C’est finalement la rencontre avec le producteur et musicien Mathieu Ballet qui permit au Brestois de renouer le fil de son inspiration pour accoucher in fine de son quatrième LP.
J’ai rien dit devant cette femme / Même pas « Au fait, est-ce qu’il pleut ? » / Et l’enfant que vous êtes encore Madame / Me met les larmes aux yeux
Madame
Miossec laisse ici de côté les guitares bravaches et rustaudes de A prendre pour ouvrir sa musique à des orchestrations plus élaborées et à une palette instrumentale plus variée que sur ses précédents albums. Cuivres, cordes et piano s’invitent ainsi tour à tour à la table du Brestois qui s’offre également quelques pas de côté stylistiques, vers la musique tzigane (Le défroqué) ou la country (Brûle). Niveau textes, l’ambiance n’est pas à la franche rigolade et Miossec continue à frotter ses mots au désir qui s’en va, aux faiblesses du cœur et du corps qui vieillissent tous les deux de concert. A vrai dire, on a connu le Breton plus inspiré et certaines rimes paraissent un brin téléphonées mais le bonhomme et son compère Mathieu Ballet parviennent à instiller une atmosphère joliment crépusculaire sur la plupart des morceaux, qui confère à ce disque l’essentiel de son charme. Sur Brûle, les matins sont gris et sentent le tabac froid mais il arrive qu’on garde en tête les quelques étoiles qu’on a pu admirer durant le tumulte de la nuit. Il arrive même qu’on puisse toucher du doigt quelque chose comme la grâce ou la beauté (Madame, Neige) mais le caniveau n’est jamais loin et ne manque jamais de se rappeler à nous, même quand on se voudrait rangé des voitures (Tonnerre, Le défroqué).
Cette année la neige devrait tomber plus tôt / On la voit déjà au sommet des cimes / Cette nuit des frissons ont parcouru ta peau / Et dans mon corps tant d’adrénaline / Qu’on a pris peur de se lever trop tôt / Et de voir que plus rien n’est sublime
Neige
Malgré quelques faiblesses et certains titres à moitié convaincants (Tendre S et ses allitérations gainsbouriennes plutôt pesantes), sans oublier une production manquant trop souvent d’ampleur, Miossec parvient quand même à toucher au cœur avec une belle brochette de morceaux tendres ou rugueux, revêches ou sensibles. On retiendra ainsi la gravité orageuse de DOM-TOM ou le génial Le défroqué sur lequel un violon tzigane vient se dandiner comme un ours de cirque. Mais Miossec séduit davantage encore quand il cesse de jouer le fier-à-bras, que les larmes lui montent aux yeux et que le cœur déborde. On l’apprécie ainsi en romantique soufflé sur le magnifique Neige, en père fragile sur Grandir et surtout en amoureux transi le temps d’un sublime Madame, déclaration écrite en hommage à la grande Juliette Gréco.
Comme on ne pose jamais les bonnes questions / Pourquoi aurait-on, un jour, les bonnes réponses ?
Pourquoi ? Parce que !
Avec le recul et alors que Miossec affiche maintenant dix albums au compteur, Brûle apparaît un peu comme un disque de transition. Revenu comme il le disait lui-même du « trou-du-cul de l’enfer », le Brestois semble ici chercher déjà à se relancer, tâtonnant encore quant à la voie qu’il entend suivre. Et même si l’assise est encore mal assurée, l’important était sans doute de se remettre en selle.
2 réponses
[…] Brûle (2001), Miossec apparaissait en Breton tâtonnant, cherchant visiblement de nouvelles pistes […]
[…] partir de l’excellent Brûle de 2001, Miossec semble avoir peu à peu trouvé la formule, ouvrant sa musique à des […]