Ivresse et conséquences
Miossec Boire (1995, PIAS)
Né en 1964 à Brest d’un père sapeur-pompier et d’une mère vendeuse, Christophe Miossec découvre le rock grâce aux disques de son frère et commence à jouer de la guitare dès l’adolescence. Il forme bientôt le groupe Printemps Noir, inspiré de la cold-wave de Cure ou de Wire, avec lequel il décrochera un premier quart d’heure de gloire en se produisant aux Transmusicales de Rennes. Le groupe se délite finalement et Miossec abandonne la musique à son entrée en fac. Notre homme se cherche alors pendant près de dix ans, exerçant différentes activités professionnelles, entre journalisme (il travaillera même comme concept-rédacteur sur TF1) et écriture. Ironiquement, en 1987, le groupe Goûts de Luxe décrochera un tube avec Les yeux de Laura, dont le refrain aurait été largement pompé sur une composition de Printemps Noir, sans que Miossec ne soit crédité.
Rattrapé par ses envies de musique et peu satisfait de la tournure de sa vie, Miossec décide de repartir de zéro à trente ans et retourne chez ses parents travailler à ses chansons. Il rencontre alors à Brest le guitariste Guillaume Jouan avec qui la collaboration s’avère aussitôt fructueuse. Les deux acolytes élaborent quelques titres, qu’ils enregistrent sur une cassette repérée et aussitôt défendue par Les Inrockuptibles, puis par le label Pias qui signe Miossec et lui permet d’enregistrer ce premier opus.
Le résultat déboule comme un éléphant dans le magasin de porcelaine qu’est alors la variété française. Miossec mêle son amour du folk anglo-saxon et d’une certaine chanson française (Gainsourg, Bashung ou Dominique A) pour livrer un impressionnant disque de folk rêche et bagarreur, remarquable d’abord par le poids de ses mots. Miossec fait claquer la langue comme peu avant lui, vomissant des textes avinés, l’haleine mauvaise et le front haut, pétris d’échecs, de défaites et de frustrations, mais bien décidés à en découdre et ne refusant pas d’en rire. Comme si Miossec avait rompu la digue, les mots s’écoulent avec une force peu commune, dérangeant le bel et fade ordonnancement du tout-venant de la variété française, jetant par-dessus bord auto-complaisance et mièvrerie. Ce verbe haut s’habille d’accompagnements folk impeccables, usant le plus souvent de guitares acoustiques sèchement maltraitées, enrobées parfois d’un piano ou d’une trompette.
L’album s’ouvre par une première gifle avec les guitares querelleuses de Non non non non (je ne suis plus saoul) qui claquent comme des fouets. Suit Regarde un peu la France, qui donne un salutaire coup de pied au cul à la torpeur mortifère de la France balladurienne d’alors : « Regarde un peu la France / C’est magnifique non, toute cette torpeur / Tous ces anciens de l’adolescence / Immobiles devant Pasqua l’horreur » ; ceux qui connurent la période reconnaîtront le contexte. Miossec se fait bouleversant quand il évoque le mal-être alcoolisé, compagnon des échecs et des déroutes, des instants honteux (« Y a toujours un caniveau devant les baies vitrées ») et des amours foireuses. Les deux sommets de ce disque plein d’échardes portent ainsi les brûlants stigmates de relations noyées, l’intense et magnifique Crachons veux-tu bien et l’impérial Recouvrance, porté par un piano familier des rades mal famés du port de Brest. Pas question non plus de passer à côté du formidable Le cul par terre (« Toute la nuit bière sur bière / A la recherche d’un animal / Qui se laisserait faire / Pour qui ce serait égal / D’avoir un homme droit et fier / Ou un qui s’étale / Et qui jure contre la terre / Et la mer et les étoiles ») ou du poignant Gilles. Il serait faux cependant de réduire Miossec à de la musique dépressive, tant le bonhomme sait garder tête haute et verbe bravache, tant aussi il sait faire preuve d’humour et d’auto-dérision, comme sur le remarquable Évoluer en 3e division (« Mais je ne suis qu’un bon cheval / Ou un gros bourrin tu as le choix / Un arrière droit assez brutal / Évoluant en D3 ») ou cette improbable La fille à qui je pense emprunté à Johnny. Un morceau caché de serial killer, Planter des primevères, vient conclure l’album sur la note qui convient.
Avec Noir Désir et Dominique A, Miossec est un de ceux qui nous ont donné envie d’écouter aussi de la chanson française, mais une chanson française vivante et batailleuse. Plus de 15 ans après, Miossec est toujours sur le pont, ayant su se faire une place à part dans le paysage musical, rassemblant une certaine audience publique mais à taille humaine, tout en demeurant un peu à côté. On lui sera resté fidèle tout du long, de hauts en bas, d’instants de grâce en cahots. J’y reviendrai incessamment…
6 réponses
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[…] tout aussi définitif et programmatique que celui de son prédécesseur, Baiser succédant à Boire. Mais, chez Miossec, la chair comme l’alcool a souvent un goût amer et réserve son lot de […]
[…] musical, à commencer par le fidèle Guillaume Jouan, collaborateur précieux depuis le fondamental Boire. Le risque était réel et la rupture fut difficile. Miossec s’en alla ainsi d’abord […]
[…] sonorités jusque là inédites. Il faut dire qu’après la claque monumentale assénée par Boire (1995) à la face de la chanson d’ici, Miossec semblait en peine de retrouver le juste […]
[…] son premier album, Boire (1995), Miossec déboulait tel un chien mal élevé dans le jeu de quilles trop bien ordonné de la […]
[…] ce premier album qui claqua tel une gifle à la face de la chanson d’ici, Crachons veux-tu bien irradie […]