Lily la tigresse
Lily Allen Alright, still (2006, Regal/EMI)
Fille du comédien anglais Keith Allen et de la productrice Alison Owen, la petite Lily grandit dans un milieu plutôt favorisé, au sein duquel elle bénéficie notamment d’un entourage culturel peu commun (l’ex-Clash Joe Strummer faisant par exemple partie des proches de la famille). Bien née, la jeune fille n’en est pas moins turbulente et jusqu’à ses quinze ans, elle traînera ses guêtres dans une bonne douzaine d’écoles différentes, plus ou moins huppées. Au fil de ses pérégrinations, Lily Allen développe sa passion pour la musique et s’essaie peu à peu au songwriting. En 2005, elle publie sur son compte MySpace (une autre époque déjà…) plusieurs maquettes qui recueillent une attention exceptionnelle, la jeune fille attirant plusieurs dizaines de milliers de fans. Cette popularité lui permet d’enregistrer ce premier album, pour lequel elle choisit de travailler avec quelques producteurs renommés comme Mark Ronson ou Greg Kurstin.
Là où l’on aurait pu craindre d’avoir à supporter le caprice musical d’une enfant gâtée, Alright, still se révèle une rafraîchissante collection de chansons pop légères et charmeuses. Mêlant hip-hop, ska, reggae avec un sens de la mélodie accrocheuse propre à la pop anglaise, Lily Allen réalise au final une musique qui célèbrerait quelque chose comme l’improbable collaboration entre les Spice Girls et The Streets. Ange et démon, Lily Allen brille par son goût pour la punchline vacharde et assène son ironie mordante à différents ex minables (à moins qu’il ne s’agisse toujours du même) avec une agilité spectaculaire. Le disque séduit par sa fraîcheur et son humour mais aussi par cette impression de témoigner de ce que peut représenter pour une jeune femme d’aujourd’hui (née du bon côté de la barrière, il faut l’avouer) cette phase de transition entre l’adolescence et l’âge adulte.
Alright, still aligne une épatante théorie de tubes en puissance, sur lesquels Lily Allen dégaine ses mélodies avec son plus beau sourire garce. L’impeccable Smile constitue ainsi une réjouissante mise en bouche qui donne le ton d’une bonne partie des titres de l’album, sur lesquels Miss Allen règle ses comptes avec une gent masculine le plus souvent bien petite (cf. Not big) au regard de ses attentes. Lily Allen se montre sans pitié et n’hésite pas à taper en-dessous de la ceinture sans jamais perdre pour autant son espièglerie et une certaine élégance, comme sur ce Not big assassin : “How would it make you feel / If I said you never made me come ? (…) / All those times that I’ve said I was sober / Well I’m afraid I lied / I’d be lying next to you and you next to me / All the while I was high as a kite”. Fière combattante et souvent prête à sortir la boîte à gifles (comme sur le génial Friday night), Miss Allen baisse à l’occasion la garde, sur l’émouvant Littlest things ou sur le tendre et drôle Alfie dédié à son petit frère. On sent bien également que cette propension à sortir ses griffes est aussi une façon d’affronter la rudesse du monde, des hommes en premier lieu, des autres femmes qui s’érigent parfois en rivales sans foi ni loi ensuite (Friend of mine), et du sort fait aux jeunes filles modernes par une société qui ne manque pas de leur imposer une ligne dont il est difficile de dévier : “I wanna be able to eat spaghetti bolognese / And not feel bad about it for days and days and days”. Pas besoin cependant d’aller parer ce disque d’une gravité qu’il n’a pas, il suffit juste de profiter de ces mélodies gonflées à l’hélium, ces airs qui vous resteront en mémoire et que vous chantonnerez un sourire aux lèvres. Ce sont déjà de fort louables vertus.
Le succès d’Alright, still a propulsé rapidement Lily Allen vers une célébrité dont elle a pu mesurer les ravages à ses dépens, faisant trop souvent la une des magazines people toujours avides de chair fraîche. Son deuxième album It’s not me, it’s you, paru en 2009, a permis de vérifier par la grâce de quelques tubes fort réussis (The fear ou Fuck you) que la musique était une raison suffisante pour s’intéresser à la demoiselle.