Je commencerai, comme de juste, à souhaiter à mes lecteurs et lectrices une très belle année 2023, et ce même si l’actualité et les perspectives ne sont guère engageantes. La musique reste un appui nécessaire et, même si je m’interroge chaque année sur la pertinence de poursuivre l’aventure de ce blog entamé il y a déjà fort longtemps, le plaisir d’éventuellement faire découvrir ou apprécier chansons et/ou albums demeure suffisant pour me motiver à continuer. J’essaierai cette année de faire vivre davantage ces pages en publiant à un rythme plus soutenu; nous verrons si cette résolution pourra être tenue.
On débutera l’année en poursuivant mes désormais traditionnels tops annuels, sélection subjective de dix albums pour chaque millésime écoulé depuis ma naissance. 1997 constitue indéniablement un cru de premier choix, alignant une bonne demi-douzaine de véritables chefs-d’œuvre, autant de disques qui ont compté dans ma vie et qui continuent de m’accompagner constamment, me montrant l’exemple pour essayer de vieillir sans devenir obsolète. Si on s’attarde un instant sur la composition de ce florilège, on constatera l’absence de francophones (malgré le superbe Approche-toi de Dick Annegarn) et la répartition équitable entre Américains et Britanniques (avec quatre représentants chacun), un Australien (habitué) et une Islandaise venant compléter le classement. Une femme domine donc le monde en 1997 et les années après d’ailleurs, tant ce disque trône très haut dans mon Panthéon personnel. On aura une pensée pour quelques absents méritants, de Ron Sexsmith à Elliott Smith en passant par Jason Falkner. Et si je débute l’année en regardant vers le passé, sans doute une pente habituelle du passage de l’âge, j’espère toujours avec la même avidité une année 2023 riche en découvertes – nouveautés ou non -, 2022 m’ayant fortement gâté en la matière. Vive la musique et bonne année !
Sous ses airs collet-monté, le deuxième album d’Eric Matthews recèle une pop de haute volée, aux orchestrations splendides, balançant entre clair-obscur, tonalités fauves et teintes bleu nuit. L’ensemble croise à une altitude imposante et composera la bande-son parfaite pour embellir vos jours.
Sur Apart, le précieux Peter Milton Walsh instillait quelques teintes synthétiques à sa pop élégante et intense. Il en ressortait avec un énième disque majeur, serti de chansons hantées, trimbalant leur mélancolie crampon le long d’avenues peuplées de fantômes et d’âmes solitaires.
Bloqué plus de deux ans par un conflit avec sa maison de disques, le groupe de San Francisco revenait furibard, dégainant son album le plus rageur et abouti. Rempli de guitares chauffées à blanc, Too many days without thinking impressionne tout du long par sa dynamique butée, son ciel d’orage et ses ressacs percutants et pénétrants. L’acmé d’un groupe majeur porté par les humeurs du regretté David Freel, disparu l’an dernier.
Curtains poursuit sur la voie tracée par les deux précédents albums des élégants Britanniques, celle d’une sophistication instrumentale mise au service d’humeurs naviguant pour l’essentiel entre le bleu nuit et le noir orangé. Le groupe réussit la gageure d’élever encore le niveau, parvenant à maintenir son souffle toute la durée d’un disque long et fiévreux, d’une tension dramatique magistrale qui ne s’épuise jamais. Un grand œuvre.
Après les paysages glacés et l’acoustique en hivernage de The doctor came at dawn, Bill Callahan faisait entrer dans ses chansons des effluves inattendus, livrant avec Red apple falls ce qu’il appellera lui-même son « premier disque de printemps ». Loin de nuire à la force émotionnelle des morceaux, ces infiltrations d’espace et de lumière ne font que souligner la grandeur de l’écriture de Callahan, proprement en lévitation tout du long de ce véritable chef-d’œuvre, premier d’une longue série.
Recueil rassemblant les chansons semées par Will Oldham sous ses divers alias de la période 1993-1997 (Palace, Palace Music, Palace Brothers), Lost blues and other songs se révèle un condensé de beautés aux mille facettes qui démontre à quelle altitude sidérante le bonhomme parvenait alors à s’élever. Tour à tour rugueuses, indomptées, immaculées ou loqueteuses, ces chansons confirment la singularité farouche d’un songwriter alors en état de grâce, transformant chaque note désaccordée en mélodie poignante.
Première signature du label Melankolic de Massive Attack, ce premier album d’Alpha demeure un intouchable bijou, cotonneux et lumineux, dont on n’a toujours pas fini de faire le tour et de découvrir les beautés. Un obscur duo de techniciens de studio parvenait ici à créer un merveilleux havre pour cœurs romantiques, de ceux rêvant dans leur chambre au crépuscule aux musiques de Scott Walker et de Burt Bacharach, de Chet Baker et de Michel Legrand. Sensuel, fragile, gracieux, parfois vertigineux, Come from heaven demeure une inépuisable malle aux trésors, recommandé à toutes les âmes sensibles.
Trois ans après son fondateur Dummy, Portishead revenait dégoûter les suiveurs à la petite semaine avec ce disque sans titre mais rempli de beauté malade jusqu’à la gueule. Entre trip-hop et Morricone, blues pâteux et bandes-sons de film noir, le groupe creusait son sillon unique et tordait le cou à la malédiction du deuxième album. Disque perclus de mélancolie charbonneuse et de lumières floutées, Portishead demeure un album brûlant qu’on n’écoute pas à la légère, tant ces morceaux recèlent de chausse-trapes accrocheurs et venimeux. Insurpassable.
Qu’écrire sur ce disque qui ne l’ait pas déjà été ? Avec ce désormais classique, Radiohead élargissait spectaculairement les limites de son territoire, mêlant les vertiges du meilleur rock progressif aux voltes aériennes de Jeff Buckley. Capitalisant sur la liberté procurée par ses précédents succès, le groupe partait à l’aventure, rappelant l’émancipation somptueuse de Talk Talk quelques années auparavant. A la différence du groupe de Mark Hollis, la troupe menée par Thom Yorke emmenait derrière ses chansons audacieuses et lyriques des cohortes de fans énamourés. Un bel exemple de cross-over.
Ce disque époustouflant, rempli de geysers et d’éruptions, demeure 25 ans après sa sortie un miracle d’audace et d’équilibre, de don de soi et d’intensité, de force et de beauté. Alliance de l’âme, des nerfs et du cœur, chacun représenté par la voix, les cordes et les rythmiques, Homogenic est un condensé d’émotions fortes, maelstrom vibrant à l’impensable splendeur. Fi des superlatifs, Homogenic reste, toujours et encore, un vrai disque d’île déserte.