Le souffle du bout du monde
The Bats Daddy’s highway (1987, Flying Nun)
Avant d’aller faire un tour en Nouvelle-Zélande, je commencerai par respecter la tradition en adressant à mes lecteurs et lectrices, réguliers ou occasionnels, tous mes vœux de bonheur pour cette nouvelle année malgré les inquiétudes qu’elle peut inspirer. Le vertige me saisit en pensant que ce blog fêtera bientôt son quinzième anniversaire mais, comme les raisons d’arrêter le cèdent encore aux motifs de poursuivre, je continuerai ici pour le moment à partager mes enthousiasmes et à défendre les musiques qui peuplent le juke-box qu’est devenu (pour mon plus grand plaisir) mon cerveau.
You’re lost on your daddy’s highway / You’re living out the day and day / But you don’t know why / It’s all you ever tried
Daddy’s highway
Quoi de mieux pour débuter l’année dans ce climat si morose que d’aller respirer une grande bouffée d’air frais avec la pop vivifiante et lumineuse des Néo-Zélandais de The Bats, un des plus beaux fleurons du si précieux label Flying Nun ? C’est au tout début des années 1980 que Robert Scott, bassiste chez The Clean, pionnier d’un indie-rock des antipodes, fonde les Bats aux côtés de Kaye Woodward, Paul Kean et Malcolm Grant. Écumant les scènes de Christchurch ou de Dunedin, le groupe s’affirme rapidement comme un des fers de lance de la foisonnante et fascinante scène alternative néo-zélandaise qui émerge alors à cet autre bout du monde, à l’instar des Clean, Verlaines et autres Chills. La réputation des Bats finit par les faire sortir de leur pays en 1985 pour aller tourner en Europe et, remarqué grâce à son EP Made up in blue, le quatuor se voit proposer d’aller enregistrer son premier LP à Glasgow. En une petite huitaine de jours, une bonne moitié des morceaux de Daddy’s highway est couchée sur bande, le groupe s’en allant terminer son œuvre sur ses terres natales.
But just you wait / There’ll be morning sky / Bringing you some peace tonight / There will be another change / Bringing you some peace tonight
Some peace tonight
Le résultat s’avère en tous points remarquable et définira un style que le groupe a décliné jusqu’à maintenant le long d’une petite dizaine d’albums parue au fil des trente dernières années, avec une constance dans l’excellence qui force le respect. Écouter Daddy’s highway, comme l’ensemble de la discographie du groupe, c’est déjà se laisser envahir par un foisonnement d’images et de sensations évoquant une grande excursion dans une nature tout à la fois accueillante et intranquille. Ces harmonies vocales (ah, ces unissons entre Woodward et Scott), ces entrelacs d’acoustique et d’électrique, ces guitares fouettées, ces rythmes tendus d’une énergie fiévreuse vous feront ressentir le vent, l’air frais, les embruns, le froid piquant et revigorant des matins d’hiver, la fraîcheur âpre des soirs de printemps. Rien d’urbain ni de confiné dans ces chansons mais un inextinguible appétit pour le dehors, seule échappatoire possible pour les tensions qui affleurent en permanence sous la surface lumineuse de ces mélodies impeccables. Les arpèges chatoyants s’enroulent autour d’une électricité véloce et des influences chères à nos cœurs nous viennent à l’esprit, du Velvet pulsatile de What goes on aux premiers mouvements tremblés de R.E.M., des guirlandes de guitare des Byrds à la verdeur sublime des Go-Betweens ou d’Orange Juice.
Soon our time was running out / A useless cause, no need to shout / We were waiting for the rain / And you were screaming when it came
Calm before the storm
Bref, Daddy’s highway est un disque roboratif, qui contient quelques-uns des morceaux les plus emblématiques du groupe néo-zélandais. Le génial North by North par exemple, chanson battue par le vent de la lande et que vient endiabler le violon tournoyant d’Alastair Galbraith. On mentionnera encore l’épatant Made up in blue, tendu comme une ligne de fuite ou bien l’impeccable et subtil Take it, car la musique des Bats n’est jamais ramenarde, diffusant sa lumière et son souffle sans aucun effet de manche. Sur Daddy’s highway, le groupe alterne titres enlevés et ballades rêveuses, d’où émane sans cesse une forme d’innocence presque enfantine, comme sur le très beau Tragedy ou ce Some peace tonight consolateur. Pour être tout à fait honnête, on concèdera que l’album, pour réussi qu’il soit, pèche un brin sur la longueur par une certaine monochromie qui fait que certains titres du dernier tiers du disque passent sans trop marquer, léger délitement que le groupe saura éviter sur son Fear of God de 1991 par exemple. Péché véniel que l’écoute répétée de Treason, Daddy’s highway ou de Block of wood fera vite oublier.
And I’ve been here, waiting in the wings / Like a little lost soul, trying on your things
Take it
Comme je le disais plus haut, le groupe poursuit depuis trente ans sa route, avec une constance et une forme d’équanimité de style qui forcent le respect, le quatuor ayant toujours su nous ravir en faisant peu ou prou la même chose, restant fidèle à sa ligne directrice et à une idiosyncrasie creusée à chaque nouvel album. Les Bats se distinguent aussi par les pauses plus ou moins longues que ses membres ont su s’accorder dans leur aventure commune au fil des ans, le groupe ayant choisi à plusieurs reprises de disparaître de temps en temps pour mieux se réunir quand l’heure lui semblait venue. On accueille chacune de ses apparitions avec la même joie.