Un oiseau blanc dans le blizzard
El Perro del Mar S/T (2006, Memphis Industries)
En matière de pop comme dans la vie, il est illusoire de chercher à connaître l’origine géographique d’un groupe en se référant à son nom. Architecture In Helsinki est un groupe australien tandis que la joyeuse troupe d’ I’m From Barcelona est originaire de Suède. Ainsi, sous cet énigmatique pseudonyme hispanique d’ El Perro del Mar se cache une songwriter suédoise, l’intrigante Sarah Assbring, qui compose, interprète et joue ici de la quasi-totalité des instruments.
All the feelings you’ve got for me / It’s like for a dog
Dog
Selon la légende, Sarah Assbring décida d’adopter cet étrange pseudonyme pour enregistrer ses propres compositions suite à une profonde dépression et après avoir vu un chien sur une plage espagnole (curieux déclic !). Bien lui en prit en tout cas car cet album distille une étonnante et mystérieuse lumière diaphane qui éclaire un saisissant grand écart entre la joliesse des mélodies et la noirceur des textes. El Perro del Mar délivre ici dix comptines pop directement inspirées de la pop américaine flamboyante des sixties, de Burt Bacharach aux Supremes en passant par Brian Wilson. Les morceaux sont ainsi truffés de chœurs célestes, de « sha la la » et de « be bop a lula », mais sous ces allures innocentes s’étale un paysage complexe et sombre, comme pris dans les frimas scandinaves. Sur des arrangements minimalistes de guitare acoustique, de claviers et de cuivres, Sarah Assbring dépose un chant d’une tristesse insondable, d’une mélancolie profonde. Ces mélodies sucrées, presque rose bonbon, se révèlent de véritables dragées au poivre, enrobées de spleen et parfumées d’amertume. De sa voix blanche et superbe, Sarah Assbring débite ainsi des couplets et des refrains – le plus souvent une ou deux phrases répétées en boucle – perclus de fêlures intimes, l’ensemble du disque semblant faire référence à la douleur qui suit une rupture amoureuse.
Is it so hard to see ? / I don’t want to be your friend / I just want to be a part of you
Party
L’album se révèle extrêmement cohérent malgré – ou à cause de – sa brièveté, le tout étant expédié en une grosse demi-heure. Il n’est donc pas aisé de mettre en exergue une chanson parmi d’autres, mais j’avoue une petite préférence pour les cinq premiers morceaux du disque. L’introductif Candy risque fort de vous couper les lèvres tandis que sur le vénéneux et addictif Party, Assbring confie son inconfort de troublante façon, le décalage abyssal entre le texte du refrain (« Come on over baby, there’s a party going on ») et la façon de le chanter se révélant des plus émouvants. Cette solitude pesante se retrouve sur People ou le cinglant Dog, boule d’amertume balancée d’une voix blanche à la face de l’auditeur. Au fil du disque, l’état général d’Assbring semble s’améliorer, comme si la douleur de la rupture se faisait moins forte mais les allures enjouées de It’s all good charrient derrière elles une cohorte de papillons noirs. La reprise du Here comes that feeling de Brenda Lee pour terminer l’album semble d’ailleurs montrer que rien n’est vraiment réglé, que tout demeure fragile. Et on imagine volontiers notre chanteuse poser sur le monde ce regard profond et mélancolique qu’elle arbore sur la pochette, regardant le blizzard à travers les vitres embuées de sa chambre.
This loneliness / Ain’t pretty no more
This loneliness
Malgré ces débuts fort prometteurs, j’avoue ne pas avoir suivi la discographie ultérieure de la Suédoise qui a depuis commis trois autres albums, le dernier en date, Pale fire, datant de 2012 : ce sera une lacune – une de plus – à combler.