A sa sauce
Theo Lawrence Sauce piquante (2019, Tomika Records)
De mère québécoise et de père français, Theo Lawrence grandit à Gentilly, dans le Val-de-Marne. Les goûts du garçon vont pourtant le conduire bien loin de l’Ile-de-France puisque, dès l’adolescence, le jeune Theo se passionne d’abord pour le rock des sixties avant de remonter peu à peu jusqu’au blues rural nord-américain de la première moitié du XXe siècle, en passant par la soul et la country. Le bonhomme finit par se trouver des compagnons férus des mêmes marottes et fonde en 2016 Theo Lawrence & the Hearts. Le groupe publie la même année son premier single chez BMG, Heaven to me et se gagne peu à peu une belle réputation en tournant et en faisant paraître plusieurs singles et EP. En 2018, le quintet enregistre un premier album, intitulé Homemade lemonade, dont les influences rétro parfaitement digérées lui valent une certaine attention dans la presse spécialisée.
Dis-moi pourquoi tu m’as quitté / Adieu nos jolis temps passés / T’as cassé mon petit cœur, babe
Petit cœur
Suivant pour ma part l’actualité musicale de manière souvent bien erratique, j’avoue être passé complètement à côté des premiers pas du bonhomme et de son groupe originel. C’est grâce aux oreilles avisées de ma chère et tendre que la musique de Theo Lawrence est parvenue jusqu’à moi, via cet album paru il y a déjà trois ans. Mes lecteurs les plus sagaces auront certainement constaté que le garçon s’était débarrassé de son groupe et affichait sur la pochette sa trogne (fort photogénique) et son seul nom. C’est donc en seul maître en bord que le Gentilléen allait amorcer l’enregistrement de ce nouvel opus et, pour donner corps à ses fantasmes musicaux, Theo Lawrence décidait de se rendre en Géorgie pour recourir aux services de Mark Neill, aperçu notamment aux côtés des Black Keys, autres brillants héritiers d’une certaine tradition de la musique américaine.
Hawaiian swimsuit / Spanish leather boots / Such a beautiful sight / Your long hair was swinging / And the band was playing / Cojunto music all night
In the back of my mind
Cette démarche de puriste peut apparaître louable mais recèle un indéniable côté casse-gueule. A trop chérir le blues, la country, le rock des fifties et des sixties, Theo Lawrence et ses musiciens s’exposent au risque de figurer de simples imitateurs, blancs-becs venus se frotter à une tradition trop grande pour eux, une histoire pétrie de trop de couenne pour des pieds-tendres venus du Val-de-Marne. L’excès de fétichisme peut aussi s’accompagner d’un excès de révérence, au risque d’une déférence trop marquée tournant à la taxidermie d’une tradition dévitalisée et réduite aux oripeaux d’un folklore désuet. On avouera que le projet de Theo Lawrence s’approche parfois bien près de ces dangereux récifs mais finit toujours par s’en éloigner et emporter l’adhésion. On n’a certes pas affaire ici à un disque de révolutionnaire novateur et Theo Lawrence reste fidèle à la musique qu’il aime, ne la secouant jamais de trop. Ce respect témoigne en fait plutôt d’une forme d’humilité et d’authenticité qui confèrent à l’ensemble une efficacité et une justesse souvent réjouissantes. La production de Mark Neill apporte à la fois une touche boisée et une profondeur du meilleur goût et les compositions jouées avec sincérité et enthousiasme insufflent à ces airs qui paraissent datés une vitalité rafraîchissante. Theo Lawrence s’y entend en effet à merveille pour nous inviter à guincher et on s’imaginera volontiers tournoyer au milieu du saloon à l’écoute de l’épatant Petit cœur, de Baby let’s go down to Bordeaux ou de Come on back to my love.
Adelita, Adelita / She kisses me goodnight / Lord knows what she may do / When she turns off the light
Adelita
En vrai connaisseur, Theo Lawrence se frotte à différents sous-genres des musiques traditionnelles nord-américaines, entre blues cajun, swamp pop ou country, le tout avec un bonheur égal. Sa voix de crooner country réchauffe la plupart des morceaux et Lawrence alterne avec bonheur titres entraînants et ballades romantiques, tel le cow-boy chantant au coin du feu les amours laissées derrière soi ou la solitude des grands espaces (In the back of my mind, le superbe Judy doesn’t live here anymore). On comprendra celles et ceux qui pourraient regimber devant cette forme d’exercice de style, cette érudition un brin scolaire. On y verra plutôt un hommage roboratif à une tradition qui demeure éminemment actuelle et fringante. Et au final, on appréciera d’écouter un jeune homme doué s’évertuer à jouer la musique qui le passionne, peu importe si celle-ci est bien loin de Gentilly.