Le retour du grand blond
Dick Annegarn Soleil du soir (2008, Tôt ou Tard)
J’ai découvert Dick Annegarn par la grâce de son somptueux Approche-toi de 1997, guidé vers ses terres par la plume d’un critique admiré. Ayant tendance à papillonner, j’avoue en être resté là, ne prêtant qu’une oreille distraite aux morceaux de ses débuts, ces Bébé éléphant, Bruxelles ou Sacré géranium qui firent son succès au début des années 1970. Je ratais aussi Un’ ombre (2002) et Plouc (2005) mais je fus heureux de recroiser le chemin du grand Belge en jetant mon dévolu sur ce dernier opus en date, dont la lumière chaude me comble depuis maintenant une bonne quinzaine.
Benedictus Albertus Annegarn sort du bois au début des années 1970 et décroche alors plusieurs succès qui lui valent son strapontin sur le devant de la scène. Pourtant, se sentant assez vite à l’étroit dans ce monde du music-business visiblement peu fait pour sa carrure, Annegarn choisit le retrait pour se recentrer sur une pratique plus “underground”, partant vivre sur une péniche tout en continuant d’enregistrer des disques au gré de ses rencontres et déplacements. C’est avec Approche-toi, merveille de disque porté par les arrangements impeccables de Joseph Racaille que Dick Annegarn – recueilli sur l’excellent label Tôt ou Tard – retrouve en 1997 une plus grande exposition publique, profitant également des multiples témoignages d’admiration déposés par une brochette de jeunes artistes en vogue, de M à Mathieu Boogaerts.
Fruit d’une collaboration fructueuse avec le guitariste Freddy Koella, escogriffe alsacien émigré aux USA et ancien sideman pour des gens aussi éminents que Bob Dylan ou Willy Deville, Soleil du soir rappelle que toute la musique que Dick aime, elle vient de là, elle vient du blues. Aux couleurs automnales et aux orchestrations racées d’Approche-toi, Annegarn substitue une approche plus dépouillée, le cœur du disque étant bâti autour du dialogue entre sa guitare et celle de son nouveau frère d’âme. Quelques cordes subtiles et distinguées ajoutent quelques nuances au tableau, comme sur Jacques (titre dédié à Brel) ou le magnifique Dernier village. Soleil du soir nimbe l’auditeur d’une lumière chaude de soir d’été, la mélancolie qui affleure ici ou là étant portée avec une belle élégance. On y entend un homme se sachant entré dans la dernière ligne droite, mais bien décidé à continuer à profiter du plaisir d’être ici, jouissant des beautés du monde (la musique, les lieux, les mots) sans pour autant chercher à masquer les cicatrices laissées par une existence bien remplie. Le son est ample et emplit l’espace et la voix “sinusiteuse” d’Annegarn confère à l’ensemble une patine et une profondeur renversantes.
Annegarn sait recevoir et nous propose d’emblée D’abord un verre, blues généreux assis entre spleen et joie du partage. Cette veine blues – évidente pour un homme ayant appris la guitare dans les disques de Skip James et de Big Bill Broonzy – se retrouve sur le formidable Bluesabelle, qui ne dépareillerait pas sur un disque de Ray Lamontagne ou le génial Blues de Londres. On retiendra aussi la beauté nue du magnifique Sans famille, sur lequel Annegarn évoque clairement son existence apatride et solitaire, à la fois sans attaches et riche de multiples rencontres. Le grand Flamand sait aussi se faire facétieux, démontrant ici ou là son plaisir à jouer avec les mots et rappelant qu’il est la cheville ouvrière d’un festival du verbe dans sa terre d’accueil de Haute-Garonne: c’est le bluegrass primesautier de Quelle poule pond tant ? ou la note finale de l’épicurien Décadons. Au final, le long de ces onze titres sans fausse note, Annegarn nous donne un éclatant aperçu d’une vitalité artistique plus affirmée que jamais, lumineuse et éclairée.
Sur l’envers de la pochette de l’album, on voit Annegarn arpenter un sentier caillouteux le long d’une petite route filant vers l’horizon. D’un pas décidé, l’homme poursuit sa route. On sait qu’on la recroisera avec plaisir…
2 réponses
[…] les formidables Approche-toi (1997) et Soleil du soir (2008), ma découverte désordonnée de la discographie de Dick Annegarn se poursuit avec cet […]
[…] certains ont déjà eu l’honneur (?) de ce blog, comme Un’ ombre (2002) ou le brillant Soleil du soir (2008). Le dernier disque en date du bonhomme, son Vélo va paru il y a environ deux ans, vaut […]