La confirmation
R.E.M. Reckoning (1984, IRS)
Je vous avais prévenus il n’y a pas même un mois, je suis en pleine période d’immersion dans la discographie de R.E.M. , il est donc normal que ce blog en porte la trace (et ce n’est pas fini, très vraisemblablement). Nous nous arrêterons ce soir sur le successeur de l’épatant et indispensable Murmur.
They crowded up to Lenin with their noses worn off / A handshake is worthy if it’s all that you’ve got / Metal shoes on wood push through our back / There’s a splinter in your eye and it reads « REACT »
Harborcoat
L’histoire du rock est pleine de groupes s’étant échoués sur les récifs du deuxième album – certains sombrant carrément, d’autres choisissant de couper court avant même d’atteindre l’obstacle. R.E.M. ne fut pas de ceux-là, bien au contraire. Avec Reckoning, le groupe réussit à mon sens à surpasser encore ses pourtant brillants débuts. Ce deuxième opus saisit le quatuor d’Athens en plein bouillonnement créatif, porté à l’époque par une vague d’énergie féconde. Cette énergie irrigue l’ensemble des chansons de l’album de son flot roboratif. R.E.M. dissipe les brouillards qui recouvraient les paysages de Murmur et se rapproche davantage de la fougue de ses prestations scéniques d’alors. Les traits sont moins tremblés, plus affirmés sans que le groupe ne perde de son mystère, maintenu entier par les textes cryptiques et le chant si particulier de Michael Stipe.
Seven chinese brothers swallowing the ocean / Seven thousand years to sleep away the pain / She will return, she will return
7 Chinese brothers
Musicalement, R.E.M. continue de frayer dans les mêmes eaux que précédemment, croisant quelque part entre la fluidité mélodique des Byrds (référence incontournable), la verdeur mordante des Feelies et la raideur coupante du post-punk anglais (Gang of Four en tête). Mais le groupe ne se prive pas de faire entrer d’autres influences dans sa musique, ajoutant là quelques notes de ska, ici une bonne dose de country. Reckoning s’ouvre sur la fougue de Harborcoat, avec ses tonalités presque ska, et cette dynamique accompagne le groupe sur la quasi-totalité des 10 morceaux du disque. Dès ce titre en tout cas, les éléments saillants de l’identité du groupe sont là : les guitares carillonnantes de Peter Buck, les harmonies vocales, la rythmique fluide et increvable à la fois. Ces matériaux se révèlent suffisamment malléables entre les mains du quartet pour donner forme aussi bien à l’onirisme de 7 Chinese brothers qu’au tranchant du quasi-smithsien Pretty persuasion. Sur le vibrant So. Central rain, futur jalon de la discographie du groupe, R.E.M. laisse entrer des influences country bienfaisantes, influences qu’on retrouve aussi sur le formidable (Don’t go back to) Rockville, sur lequel Stipe laisse exceptionnellement la plume au bassiste Mike Mills. Toutes les chansons de ce disque sensationnel mériteraient une mention, du somptueux Time after time aux échevelés Second guessing et Little America, qui file à un rythme de dératé. L’élégiaque Camera apporte un contrepoint plus sombre à l’ensemble, hommage poignant et cotonneux à une amie disparue.
Alone in a crowd, a bartered lantern borrowed / If I’m to be your camera, then who will be your face ?
Camera
Avec Reckoning, R.E.M. faisait plus que confirmer les promesses étalées sur le remarquable Murmur. Au fil des écoutes, cet album apparaît pour moi comme un des sommets de l’œuvre de la bande à Michael Stipe, sans doute celui rendant le plus justice à la vigueur de ce que dégagent les enregistrements scéniques d’alors. Sur un autre plan, Reckoning marque le début de l’ascension vers les sommets de R.E.M., le succès de So. Central rain en faisant déjà un groupe qui compte. L’album eut par ailleurs une influence importante sur toute une génération de musiciens américains, Pavement en tête, et peut à mon humble avis être vu comme un des jalons du rock et de la pop contemporains, rien de moins. Mais si vous voulez moins de pompe, considérez le comme un sacré bon album.
2 réponses
[…] R.E.M. Letter never sent [1984, sur l’album Reckoning] […]
[…] la révélation (Murmur) et la confirmation (Reckoning), le troisième album de R.E.M. pourrait être considéré comme celui de la mise à […]