Poursuivons cette semaine la révélation progressive de mes tops annuels en attaquant une nouvelle décennie, celle des années qui posèrent les bases de ma formation musicale. Pour être honnête, la plupart des disques dont il est question pour cette année 1990 n’arrivèrent à mes oreilles que bien après leur parution et il faudra attendre un peu pour me voir réellement synchrone avec les albums composant mes classements. Les anglo-saxons dominent sans partage, avec une prépondérance des Anglais, plus inspirants alors en ces années-là à mon sens que pendant l’apogée de la Brit-pop. Comète La’s mise à part, 1990 est plutôt un millésime consacrant des artistes déjà confirmés, quelques-uns d’entre eux atteignant des sommets alors simplement entrevus (Nick Cave, Depeche Mode, Pet Shop Boys) ou les retrouvant (Prefab Sprout). Les forces montantes du rock indie US que sont Pixies et Sonic Youth, toujours très haut même si pas à leur zénith, permettent aux USA de sauver la face devant l’arrogance britannique et on aura plaisir, comme un an auparavant, de retrouver en pleine forme les figures tutélaires de toute cette musique que sont John Cale et Lou Reed, cette fois réunis comme aux plus belles heures pour un retour de toute beauté. On n’oubliera pas d’avoir une pensée pour les recalés du classement, Sundays, Mazzy Star ou Galaxie 500 qui échouent au pied du top 10. En avant la musique.
Avec son 4e album, le duo le plus chic de l'électro-pop anglaise atteint des sommets de mélancolie dansante en traînant derrière lui sur le dance-floor un wagon d'humeurs sombres, en plein coeur des années SIDA. Sous les stroboscopes, la fête se pare d'atours tragiques mais le groupe fait face, abattu mais pas vaincu, la musique en étendard.
Conçu dans le chaos, le deuxième album des Britanniques est pourtant un joyau de pop fragile et altière, mêlant, sans forfanterie et sans une once de graisse, flamboyance et élégance pour s'élever au rang de classique instantané.
Moins imposant que son prédécesseur, Daydream nation, Goo constitue tout de même une réussite de plus des New-Yorkais, empli d'un rock sauvage et sinueux irradié de couleurs fauves.
Les deux frères ennemis du Velvet Underground enterraient un instant la hache de guerre, le temps de rendre hommage à leur ancien mentor Andy Warhol,décédé peu auparavant. Le temps surtout de livrer un disque somptueux, rempli de retenue nostalgique, et qui semble convoquer d'un même geste l'inquiétude et la sérénité naissant à l'approche du crépuscule.
Après une décennie à s'élever sans cesse, Violator découvre un Depeche Mode à son zénith, réussissant à amener au sommet des charts une musique d'une noirceur profonde, faisant se rencontrer blues poisseux et sonorités house pointues pour une célébration impressionnante de maîtrise et de profondeur.
Sans atteindre les sommets de Doolittle, Bossanova confirme la singularité hors normes du groupe de Boston, qui s'aventure ici sur des territoires plus étranges et inquiétants. Sans doute l'album des Pixies où les obsessions paranormales de Frank Black déteignent le plus sur sa musique, délaissant la haute voltige pour un vol en rase-mottes au-dessus des paysages cabossés d'une planète inconnue.
Quatrième LP du groupe d'Hoboken, Fakebook révèle sa facette la plus lumineuse, mêlant à part égale compositions originales et reprises choisies et jouées avec un goût d'esthète. Entre Byrds, Beach Boys, Yo La Tengo se mêle érudition et sens mélodique hors pair pour retourner comme un gant nos petits coeurs séduits par ce disque devenu au fil des ans aussi fidèle qu'un ami sûr.
Sans perdre en intensité, Nick Cave et ses Bad Seeds s'emploient ici à contenir l'explosivité et la violence de leurs précédents albums pour offrir un recueil de chansons haut de gamme, tout en rage rentrée et en romantisme brûlant. Comme un Scott Walker nourri au blues marécageux du Sud des USA plutôt qu'au lyrisme échevelé de Jacques Brel, The good son vibre sous l'intensité et la tension d'orchestrations luxuriantes et d'une interprétation toujours sur le fil. Du grand art.
Vague concept-album centré autour des figures de Jesse James et d'Elvis Presley, Jordan : the comeback est surtout un nouveau chef-d'oeuvre de l'immense Paddy McAloon, qui aborde au fil de ce disque gargantuesque tous les genres musicaux qui l'ont façonné. Le résultat est un kaléidoscope soufflant d'inventivité et d'émotions, souvent bouleversant, un disque aux mille richesses et qui paraît révéler de nouveaux atours à chaque écoute. Jordan ne nous quittera jamais.
Disque unique dans tous les sens du terme, le premier – et seul – album des La's reflète la quête infinie d'un génie obsessionnel, Lee Mavers, pour décrocher le Graal de la perfection pop. Si nombre d'entre nous s'accorde à dire que le défi a été relevé – ô combien brillamment – Mavers reniera dès sa parution ce disque fantastique, condensé de fougue, de crânerie, de romantisme et de brillance, baigné de mélodies plus inoubliables les unes que les autres, arborant au fronton une forme d'apothéose pop avec l'inégalée There she goes.