L’île mystérieuse
L’Altra In the afternoon (2002, Aesthetics)
Voici un disque dont les teintes automnales collent à merveille à ce printemps pluvieux qui fait ressembler ces jours de juin à des soirées d’octobre. Les chansons élégiaques et lentes de ce groupe de Chicago constituent une bande-son idéale pour cette saison de pluie, et elles reviennent donc m’entourer du halo de mystère qui les habille depuis que je les ai découvertes.
Je ne sais quasiment rien de L’Altra et je n’en avais jamais entendu parler lorsqu’un conseil ami m’engagea à écouter cet album. J’ignorais ainsi qu’In the afternoon était le deuxième album de ce quintette chicagoan mené par Lindsay Anderson et Joseph Costa. Et je ne sais rien de leur parcours depuis, leur troisième (et dernier à ce jour) opus – Different days paru en 2005 – n’étant pas parvenu jusqu’à mes rivages.
Cet énigmatique combo nous gratifie en tout cas d’un disque dont la beauté ouatée s’avère proprement fascinante. L’Altra évolue à la croisée du folk, de la pop, de la musique de chambre (Goodbye music) et du post-rock (Chicago oblige? – remember Tortoise, Gastr del Sol et autres groupes de cette scène qui fit parler au mitan des années 1990) et délivre une musique mélancolique et cotonneuse faite pour accompagner nos humeurs indolentes. Usant du piano, du violoncelle ou de la guitare, le groupe crée une atmosphère tantôt inquiète (Broken mouths), tantôt sereine (Black arrow) mais les sentiments qui transparaissent semblent nous parvenir comme assourdis. Les chants entremêlés de Lindsay Anderson et Joseph Costa apportent une touche de sensualité onirique qui n’est pas sans rappeler les récents et acclamés The XX – mais un The XX qui aurait écouté la BO de Michael Nyman pour La leçon de piano plutôt que les pyromanes glacés du post-punk et de la new-wave. La musique de L’Altra semble au final comme engourdie et sa mélancolie insidieuse et lumineuse n’en devient que plus addictive. On pensera aussi à un groupe comme Low, mais un Low ayant là encore davantage écouté le Neil Young pastoral que Joy Division.
Sur cette île mystérieuse, on se perdra donc dans les méandres tracés par Soft connection (“When I fall asleep / Will you be there to wake me”) ou Black arrow. On s’arrêtera surtout devant la magie tortueuse qui se dégage d’un morceau comme A delicate flower, titre dont l’écoute nous rappelle la fascination qu’on éprouvait enfant à suivre le chemin d’une goutte d’eau sur une vitre, ce lent écoulement pourtant plein d’imprévus dont la trajectoire se fond avec celles des autres gouttes qui l’entourent. Pas question non plus de passer sous silence le formidable Ways out dont le lyrisme contenu se répand peu à peu en un torrent de violoncelle bouleversant. Mention enfin au fiévreux Broken mouths et à son piano inquiet, dont on suit transpirant la cavalcade romantique. Le disque se termine sur un fabuleux instrumental, ce Goodbye music joué à la bougie qui réchauffe et étreint à la fois.
Drôle de disque donc, sorte de pièce unique à la mélancolie addictive et au spleen accueillant, parfait compagnon des jours de pluie ou de morne soleil.