François & the Atlas Mountains Piano ombre (2014, Domino)
Après un sublime premier album largement célébré dans ces pages et dont on n’a pas fini de faire le tour, le Charentais François Marry – toujours accompagné de ses précieux Atlas Mountains – venait confirmer l’an dernier avec ce Piano ombre tout le bien qu’on pensait du combo.
Et je retourne à l’âge / Étirant le temps du chant des somnambules / Le visage en argent / La cadence des bûches / Le rire dans les dents nous mettions le feu aux dunes
La vie dure
On retrouve ici avec grand plaisir bon nombre des ingrédients qui ont fait l’éclatante réussite de E volo love : des textes emplis d’une poésie douce et inquiète, un travail d’orfèvre sur les arrangements, un goût pour les métissages subtils (entre pop, chanson française, musiques africaines, electronica…) et une fluidité générale baignant et fascinant l’auditeur dans le même mouvement. Mais là où E volo love se jouait entre la terre et l’eau, Piano ombre adopte des teintes plus terriennes. On laissera ici s’exprimer son auteur en personne qui décrivait ce disque à l’époque de sa sortie comme « une course dans une forêt, une forêt un peu sombre, mais une course qui menait vers une sortie ». La forêt, le bois, sont ici des éléments majeurs, et le mystère et la matérialité rugueuse et ocre qui s’en dégagent impriment leur empreinte sur une bonne partie des morceaux de l’album. Quand son prédécesseur se jouait en pleine lumière ou sous une ombre douce, Piano ombre pénètre les sous-bois, se roule parfois dans la terre ou se maquille les joues de cendre. Marqué par des problèmes personnels et assailli de doutes existentiels (ce qu’il nomme lui-même ses « ombres ») au moment de l’écriture de ces chansons, l’angoissé François Marry transforme cette noirceur en clair-obscurs magnifiques, soutenu par un groupe impeccable et exprime ses tourments intimes au travers de textes régulièrement sublimes.
Dans la foule enchevêtrée dans / Les couloirs du soir / Je me change en François sans foi ni loi / Je presse le pas / Ce soir, j’ai quelqu’un à voir
La fille aux cheveux de soie
L’album ouvre sur un Bois tendu et ténébreux, qui se déploie avec majesté pour culminer en inflexions free-jazz giclant comme des flammèches. L’entrée dans la forêt est inquiétante mais la traversée sera riche en beautés, pour se conclure dans la lumière du merveilleux Bien sûr et ses violons euphoriques. Après Bois, François et ses acolytes placent l’épatant mini-tube La vérité, au groove d’une efficacité redoutable puis enchaînent sur le superbe et épique The way to the forest, sans doute le morceau qui évoque le plus la course à travers arbres et buissons auquel François Marry se référait : les ronces griffent les joues et les mollets, les pierres sur le chemin font trébucher mais la volonté d’avancer est la plus forte et l’oxygène qui gonfle les poumons et fait battre le sang aux tempes nous plonge dans une douce griserie. La plus belle réussite de l’album vient après, avec la merveilleuse ballade au piano La fille aux cheveux de soie, qui peut déjà prétendre à une place de choix au Panthéon de la chanson française, chef-d’œuvre de grâce et d’onirisme mêlés. Au fur et à mesure que l’album se déroule, la lumière semble se rapprocher et le groupe traverse de bien agréables clairières (Summer of a heart, Fancy foresight) avant de trouver l’issue sur le fantastique Bien sûr, déjà mentionné plus haut, qui explose comme un feu de joie empli d’espoir et de soulagement.
Heureusement qu’il y a la musique magique l’amour a déçu
Bois
Avec ce disque à la fois cérébral et charnel, terrien et éthéré, François & the Atlas Mountains consacre un talent original et captivant tout en témoignant de la vitalité décidément enthousiasmante de la musique d’ici. « Reste le phare qui illumine » chante François Marry sur Bien sûr : on sait que sa lumière nous conduire à bon port.