The colors of Love

Love Da capo (1967, Elektra / Warner)

Love - Da capo

Même si sa réputation n’est plus à faire chez les critiques ou les amateurs et amatrices éclairé-e-s, Love demeure encore relativement méconnu par rapport à d’autres de ses coreligionnaires de cette prodigieuse scène West Coast qui révolutionna le rock et la pop entre 1965 et 1969. Le groupe incarne pourtant au plus haut point l’effervescence créative de cette période, étant sans doute l’un de ses plus brillants (sinon le meilleur) porte-flambeau, plus encore que d’autres plus réputés, des Doors au Jefferson Airplane.

Orange skies / Carnival and cotton candy and you / And I love you too, you know I do

Orange skies

Arthur Lee naît à Memphis mais s’installe avec sa mère à Los Angeles dès sa plus tendre enfance. Il s’imprègne aussi bien du rhythm ‘n’ blues que du classique ou de la musique d’église et fonde les Grass Roots en 1964, qu’il rebaptise très vite Love (un autre groupe utilisant déjà le patronyme). Le groupe se présente d’abord comme un quintet, intégrant notamment le guitariste Bryan McLean, dont les influences folk-rock viendront faire contrepoint à celles davantage portées vers le blues-rock et le classique d’Arthur Lee. Dès la fin 1965, la réputation du groupe grandit sur la scène angeleno au point d’être prestement signé chez Elektra, le label de Jac Holzman. Un premier album, Love (qu’il faudra que je me décide à écouter) paraît en 1966, aussitôt suivi par un simple pétaradant Seven and seven is, qui restera le plus gros succès commercial du combo. Celui-ci est envoyé en éclaireur de la deuxième livraison du groupe, ce Da capo qui paraît au tout début de l’année 1967.

If I don’t start cryin’ it’s because that I have got no eyes / My father’s in the fireplace and my dog lies hypnotized / Through a crack of light I was unable to find my way / Trapped inside a night but I’m a day and I go

Seven and seven is

Si le nom de Love est – à juste titre – indissolublement lié à leur insurpassable chef-d’œuvre, le monumental Forever changes qui paraîtra seulement quelques mois après Da capo, il serait injuste de passer sous silence les qualités évidentes de ce disque-ci. Arthur Lee indiquera a posteriori que Da capo était le disque qui lui avait permis de véritablement trouver sa voie, son identité et je n’aurais pas l’audace de le contredire. Da capo donne un aperçu saisissant du talent explosif de Lee qui, peut-être catalysé par ses nombreuses expériences hallucinogènes ou tout simplement par le bouillonnement artistique du L.A. de l’époque, éclate en mille fusées multicolores. Le groupe s’adjoint les services du saxophoniste et flûtiste Tjay Cantrelli et prend un évident plaisir à confronter ses influences folk-rock psychédélique à d’autres sonorités, du free-jazz à la samba en passant par des airs de flamenco. Comme un coup de hache donné dans un barrage, Da capo figure la brèche qui donnera libre cours au torrent créatif qui s’emparera d’Arthur Lee pendant cette incroyable année 1967.

When I was invisible / I needed no light / You saw right through me, you said / Was I out of sight ?

She comes in colors

L’album s’ouvre sur un Stephanie knows who volcanique, mêlant rhythm’ n’ blues et free-jazz et célébrant les noces endiablées du clavecin et du saxophone sur un lit de guitares électriques. Cette frénésie introductive est de suite contrebalancée par Orange skies, ballade onirique légèrement inquiétante, sur laquelle le chant d’Arthur Lee se module en falsetto fragile embué de nostalgie. La musique du groupe se cale ainsi en permanence sur les états d’âme de son leader, tantôt mélancolique, tantôt euphorique, tantôt songeur, tantôt déchaîné, le tout pour un résultat étonnant de maîtrise dans le déséquilibre. Ainsi, la dynamite de Seven and seven is (qui pourrait sans jurer figurer sur l’un des premiers albums de The Coral) fait suite au charme pastoral de Que vida !, sur lequel souffle un air de samba frais comme une brise marine. De la même façon, les arpèges magiques d’un The castle nimbé de mystère précède la bouffée psychédélique de She comes in colors, qui – paraît-il – inspira le She’s a rainbow des Rolling Stones. A propos de cette chanson, Arthur Lee brisera toute tentative d’interprétation romantique en donnant cette explication très prosaïque aux Inrockuptibles : « Tu connais les femmes, parfois elles ont leurs règles. Ça ne les empêche pas de faire l’amour. C’est clair non ? ». Le disque se clôt par un morceau-fleuve long de 19 minutes tantôt éreintant, tantôt épatant, ce Revelation qui visait à permettre à chacun des membres du groupe d’avoir droit à son solo (guitare, batterie, saxo, tout y passe). Le résultat s’avère au final plus réussi qu’on ne le croirait à la lecture de cette description, cette jam-session se révélant souvent très plaisante même si un brin longuette.

Can you find your way / Or do you want my vision ? / It’s dark there, they say / But that’s just superstition

Que vida !

Da capo ne sera que la première pierre du fabuleux palais musical que bâtira le groupe d’Arthur Lee en cette incroyable année 1967. Dès l’été, Love entrera en studio pour graver les bandes du stratosphérique Forever changes. Da capo démontre en tous cas que Love ne fut pas le groupe d’un seul disque, inspiration miraculeuse qui serait tombé sur les épaules d’Arthur Lee. Bien plutôt, Da capo est le premier arc-en-ciel sorti de la palette d’un groupe à l’inspiration panoramique et polychrome, dont les couleurs n’ont, 50 ans plus tard, rien perdu de leur éclat.

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