L’effet papillon
The House of Love S/T [butterfly] (1990, Fontana)
Du chaos naît la beauté. C’est évidemment un cliché (souvent vénéneux), ce ne saurait être un adage, encore moins une règle ou un principe, plutôt une exception. On ne peut néanmoins que constater que régulièrement, dans l’histoire des musiques amplifiées, le bruit et la fureur ont accompagné la gestation de bon nombre de disques majeurs, de la frénésie cocaïnée du Bowie mid-70’s à la grande confusion ayant présidé à l’enregistrement du deuxième album des Libertines. Le deuxième LP des Anglais de House of Love s’inscrit pleinement dans cette lignée tumultueuse, tant le classicisme brillant qui s’en dégage contraste avec le trouble qui l’a vu naître.
Someone said “Have you seen that guy / On the street with a loud cut and / A black eye, giving love away with / A bad smile”
Hannah
Formé en 1986 à Londres par Guy Chadwick et Terry Bickers, House of Love se fait remarquer moins d’un an plus tard avec un premier single Shine on, appelé à devenir un classique et publié sur le prestigieux label indépendant Creation. Le premier album sans titre du groupe, porté par les excellents Christine et Destroy the heart, reçoit un accueil enthousiaste de la critique et les propulse au rang d’étoiles montantes de la scène indie. House of Love tourne sans relâche, porté par l’ambition de Guy Chadwick, et ne tarde pas à succomber à tous les excès escortant ce type d’ascension rock. Les promesses autour du groupe affluent et House of Love finit par signer sur le label Fontana pour enregistrer un deuxième opus très attendu. Le rose n’est cependant plus de mise dans la Maison de l’Amour : les abus de substances diverses minent les relations entre Chadwick et Bickers, ce dernier, fabuleux guitariste, se sentant de plus en plus mal à l’aise dans la spirale infernale dans laquelle semble vouloir l’entraîner l’ambitieux Chadwick. Les sessions sont particulièrement tourmentées, l’enregistrement patine, les producteurs se succèdent, les tensions sont permanentes entre les deux forces créatrices du groupe et, après deux ans de studio, l’album au papillon paraît au tout début de l’année 1990.
In a garden in the House of Love / There’s nothing real just a coat of arms / I’m not the pleasure that I used to be / So young / Just eighteen
Shine on
La métaphore est facile mais c’est bien un magnifique lépidoptère coloré qui surgit de cette gestation ô combien douloureuse, qui aura d’ailleurs raison de Terry Bickers, puisque ce dernier quittera le groupe la tournée promotionnelle à peine entamée. Le sens mélodique des House of Love transpirait déjà le long d’un premier opus notable dont la verdeur laissait cependant trop souvent en bouche un goût âpre. Rien de tel ici et la musique du groupe atteint clairement une autre dimension. Mêlant le psychédélisme orageux d’Echo & the Bunnymen aux guitares ourlées des Smiths ou du Rattlesnakes de Lloyd Cole, les chansons de ce Butterfly album diffusent un classicisme altier et intense. Chadwick et Bickers excellent à créer des atmosphères marquantes, dans lesquelles mélodies et harmonies se répandent et se répondent en teintes diaprées, en clairs-obscurs tremblants et en éblouissements.
Don’t you frown / Just go sweetly / Let your senses suck the world / And your fingers through my hair
Shake and crawl
L’introductif Hannah apparaît d’emblée comme un modèle de l’art du groupe, avec son crescendo captivant, vaguement inquiétant, cette mélodie qui s’élève lentement et ce brusque éclat qui surgit comme on frapperait la surface d’une onde étale. Aux volutes hypnotiques de ce premier morceau succède la fulgurance et l’évidence d’un Shine on revisité, à l’efficacité redoutable et à la pureté sidérante. Tout le début de l’album navigue à haute altitude : l’auditeur passe tour à tour de la grâce fragile de Beatles and the Stones à la souplesse féline de Shake and crawl, de la fougue brûlante de Hedonist à la puissance racée de I don’t know why I love you. Le niveau recule un brin en deuxième partie d’album, mais vraiment légèrement, le groupe réussissant à placer le formidable In a room, cavalcade enthousiasmante, sorte d’équivalent musical d’une descente en vélo, entre griserie de la vitesse et angoisse diffuse de la chute potentielle. “I can’t slow down” chante Guy Chadwick, et on pressent qu’il n’en a pas vraiment envie. On n’omettra pas de mentionner la douceur étonnamment sereine du magnifique Blind, à la délicatesse de berceuse.
With no father, and no son / He’s a Christian, but not the one / And with a guidance, like a lemming / He fell so deep into the sea
Hedonist
Comme indiqué plus haut, The House of Love ne survivra que peu de temps aux divergences grandissantes entre ses deux figures de proue, dont la relation n’aura de cesse de traverser des hauts et des bas au fil des années. Guy Chadwick poursuivra sur sa lancée le temps de deux autres LP avant de sombrer dans les addictions dont il lui faudra quelques années à se remettre. On le retrouvera en 1998 en solo, le temps d’un album modeste et doux, Lazy, soft and slow. The House of Love a finalement refait surface en 2005, avec une première reformation et un nouvel album, suivie huit ans plus tard d’un autre. Un nouvel album du groupe est annoncé pour les prochains mois mais j’avoue n’avoir pas pris le temps de réécouter les disques récents des Anglais. Il n’est pas trop tard, la Maison de l’Amour est toujours ouverte.