1 année, 10 albums : 1989

Après plus d’un mois d’interruption, et alors que j’avoue ressentir depuis quelques semaines une forme de trop-plein face à la masse des disques à écouter et des artistes à découvrir (rien d’inquiétant a priori, ce sont des phases normales), quoi de mieux qu’un regard rétrospectif vers le passé pour vérifier la solidité de mes bases. Solidité n’équivaut pas, bien entendu, à immuabilité, et c’est d’ailleurs tout le plaisir qu’il y a à régulièrement réécouter des disques qu’on a aimés pour voir comment on a pu (ou pas) soi-même changer. Retour donc cette semaine sur l’année 1989, millésime d’une exceptionnelle qualité puisque on comptera au moins trois purs chefs-d’œuvre et une flopée de disques marquants. Le rock français y tient sa place, le Velvet rappelle qu’il a toujours été là, via ses légendes (Lou Reed et John Cale tous deux en pleine forme) ou via ses héritiers (Galaxie 500). Anglais et Américains se taillent la bourre en tête de classement avec l’insolence folle des Pixies et des Stone Roses mais derrière ce charivari de jeunes premiers, les vieux gardent la tête haute et on trouve même un mort plus bouleversant que bien des vivants. Je vous laisse découvrir tout cela par vous-mêmes.

Disque fondateur du rock d’ici, fondamental pour des milliers d’entre nous, le premier album de Noir Désir, malgré des défauts plus visibles aujourd’hui qu’à mes 15 ans, tient toujours sacrément bien la route, avec ses fulgurances fauves et son lyrisme fiévreux.
Avec cet album en noir et blanc, inflammable et cabossé, Bashung retourne aux expériences fracassées de Play blessures, le temps de 11 morceaux d’une new-wave brumeuse et accidentée, reflet fidèle des troubles existentiels de leur auteur.
Sur son quinzième album solo, Lou Reed revenait en grande forme avec ce disque rageur et puissant, plein de verve électrique et de poésie urbaine. Branché de nouveau sur la pulsation infernale de sa ville, Reed retrouve ses habits de chroniqueur des trottoirs de Big Apple, n’omettant rien des plaies affectant son New York bien aimé après 8 ans de reaganisme et en pleine épidémie de SIDA. Un disque bagarreur et flamboyant, roboratif à souhait.
1989, un millésime de choix pour les deux frères ennemis du Velvet, tous deux en phase haute de leurs cycles artistiques respectifs. Au-delà du concept (évoquer la guerre des Falklands via la mise en musique de poèmes de Dylan Thomas), Words for the dying est une suite instrumentale somptueuse, dont la sublime gravité n’a pas fini de nous hanter.
Avec Mystery girl, Roy Orbison, entouré d’un aréopage d’admirateurs de haute volée (Tom Petty, Jeff Lynne, Costello, Bono…), nous offrait un fabuleux retour en grâce, le temps de 11 morceaux baignés de romantisme déchirant, sur lequel le plus fameux binoclard de l’histoire du rock démontrait qu’il était encore capable de tutoyer les étoiles. Dommage que cet éternel poissard n'ait pu recueillir les lauriers mérités de ce grand œuvre, puisqu’il cassa sa pipe un mois avant la parution du disque, comme une façon de valider sa légende tragique.
Avec ce deuxième album incandescent, le trio de Boston poussait encore plus loin l’exploration des terres défrichées sur un premier album déjà formidable. Il confirmait surtout qu’il était bien un incroyable groupe de rock à guitares, un rock lent et enveloppant, dilatant l’espace autour de l’auditeur pour mieux le submerger dans une rêverie orageuse à l’électricité inquiète, à la torpeur vénéneuse.
Avec Disintegration, Robert Smith s’éloignait des orientations pop des deux précédents albums de Cure, sans pour autant retourner à la grisaille et au chaos de sa trilogie noire. Les compositions s’étirent, les guitares s’écoulent en flots débordants et la mélancolie habite chaque interstice de ce disque rempli d’eau et de lumière. D’une richesse étourdissante, Disintegration est un disque à la beauté sauvage, qu’on voudrait saisir à pleines mains mais qui ne laisse derrière lui qu’une traînée de poussière étoilée.
The Blue Nile insuffle une âme d’une profondeur inouïe aux synthétiseurs qui forment l’essentiel de la pâte musicale du groupe. D’une musicalité bouleversante, Hats brille notamment par sa façon d’agencer les silences, la marque des grands disques, chaque chanson se déployant et se dilatant pour imposer son tempo (le plus souvent lent et languide) à notre cerveau consentant. Véritable disque de chevet, Hats est un trésor qu’on garde auprès de nous précieusement pour nos besoins de consolation.
Que dire de ce chef-d’œuvre désormais consacré ? Que depuis plus de 25 ans, il ne nous a jamais fait défaut, nous procurant toujours et encore notre shoot d’enthousiasme et d’adrénaline, telle une source inépuisable de sensations fortes. Quand on se demande pourquoi on aime le rock, on accroche sa ceinture et on lance Doolittle, comme on monterait dans un manège de montagnes russes, jamais lassé de ces accélérations foldingues, de ces surprises sans cesse renouvelées. Doux, dur et dingue à la fois.
En voici un autre, d’indémodable classique, longtemps en balance avec le Doolittle des Pixies pour le titre dérisoire de champion de l’année 1989. Au final, les Stone Roses emportent le morceau, avec leurs mélodies superlatives portées par un souffle dantesque, une flamboyance et une arrogance à la hauteur de chansons d’une classe inégalée. Mêlant dans son chaudron fumant l’hédonisme de la scène house alors en pleine montée d’acide au psychédélisme pastoral de la West Coast, groove implacable et harmonies célestes, les Stone Roses décrochait la martingale le temps d’un instant unique, jouissif et beau. « Manchester, so much to answer for… ».

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *