L’échappée belle
Pixies Surfer Rosa & Come on pilgrim (1988, 4AD)
Curieux destin que celui des Pixies quand on y songe. Groupe majeur de l’indie-rock au tournant des années 1980-1990 le temps de quatre albums formidables, son rayonnement ne dépassa pour autant jamais vraiment les sphères de l’underground. Le quatuor se sépara dans un anonymat relatif en 1992 et moins d’un an après, les graines multicolores qu’il avait semées au fil de ses quelques années d’existence donnèrent naissance au monstre Nirvana, Kurt Cobain n’ayant jamais cessé de proclamer son dû envers le groupe de Boston. L’influence des Pixies allait se révéler au fil des années fondamentale auprès de bien d’autres héritiers de toute stature (de PJ Harvey à Placebo) et le groupe entreprit, après plus de 10 ans de hiatus, de finalement se reformer pour une succession de tournées lucratives au cours desquelles il capitalisait enfin (en termes financier et de popularité) sur son formidable répertoire. Il en vint même à enregistrer cette année un nouvel album, Indie Cindy, 23 ans après la sortie du précédent Trompe le monde.
I said I wanna be a singer like Lou Reed / I like Lou Reed, she said, sticking her tongue in my ear / Let’s go, let’s sit, let’s talk, politics goes so good with beer / And while we’re at it, baby, why don’t you tell me one of your biggest fears ? / I said, losing my penis to a whore with disease
I’ve been tired
Mais revenons-en aux débuts de ce combo aujourd’hui quasi légendaire. Les Pixies se forment en 1986 sous l’impulsion de Charles Thompson (alias Black Francis alias Frank Black) – alors diplômé en anthropologie – et de son pote guitariste Joey Santiago. Les deux compères recrutent par petite annonce une impeccable section rythmique composée de Kim Deal à la basse et David Lovering à la batterie. Le groupe se fait remarquer rapidement en écumant les scènes de la région de Boston grâce à ses prestations explosives et ses compositions hors norme. Il est finalement signé par le prestigieux label anglais 4AD chez qui il enregistre un premier EP en 1987, Come on pilgrim. Un an après, s’étant adjoint les services abrasifs de Steve Albini à la production, les Pixies font paraître leur véritable premier album, Surfer Rosa. Ces deux opus sont rapidement regroupés sur un même CD et c’est de celui-ci précisément dont je m’en vais vous parler, avec sa fameuse pochette représentant une danseuse de flamenco aux seins nus (la pochette de Come on pilgrim, figurant un homme au dos monstrueusement velu se retrouver à l’intérieur du livret).
He bought me a soda, and he tried to molest me in the parking lot
Bone machine
Autant le dire d’entrée, ce disque est une vraie merveille. Les Pixies posent les jalons d’un univers sans équivalent et font preuve d’une ébouriffante originalité. L’auditeur traverse ainsi ces 21 titres comme sur une montagne russe ou à califourchon sur le surf stellaire du Surfer d’Argent. Au centre de ces chansons décoiffantes, on trouve d’abord une dynamique infernale, menée par la basse rugueuse et sensuelle de Kim Deal et la batterie sauvage et élastique de Lovering. Autour de ces fondations à la fois souples et solides, les Pixies bâtissent des compositions génialement déstructurées, des pop-songs en apesanteur, du punk-rock sous hélium, le tout traversé par les fantastiques accélérations de guitare de Joey Santiago et usant à merveille d’une alternance diabolique entre temps calmes et déchaînements. Frank Black assure le clou du spectacle avec son chant entre enfant maniaque et chien méchant (on le surprend plusieurs fois à aboyer) qui débite ses paroles frappadingues et inquiétantes, parlant de mutilations, d’inceste ou d’extra-terrestres. Possédé, frénétique, mélodique, roboratif, hystérique, atmosphérique, la musique des Pixies peut endosser ici sans problème tous ces adjectifs et bien d’autres encore, tant son appétit gargantuesque semble lui ouvrir tous les possibles.
I’m a belly dancer / I’ll shake forever and I’ll never care / I’m a building jumper / Roof to roof you see me flying in the air
Break my body
Difficile de ressortir un titre du lot, chacun étant à sa manière hautement recommandable. Les Pixies débordent d’inventivité, passant de la grâce canaille – et coquine – de Gigantic (le seul morceau chanté par Kim Deal) à la furie débridée de Something against you, de l’immense Oh my golly à l’atmosphérique – et désormais classique – Where is my mind ?, du fiévreux et malade Cactus à l’euphorisant The holiday song. Le cerveau du quatuor est visiblement en ébullition dont naît ce capharnaüm jouissif. Sur Vamos ou Isla de encanta, Frank Black chante en espagnol et on a l’impression que les mots sortent de lui comme s’il était atteint de glossolalie. Sur Vamos toujours, la guitare de Santiago semble elle aussi ensorcelée par un génie maléfique qui la fait convulser tandis que la section rythmique la tient en haleine. Et quand en fin d’album Frank Black chante Levitate me, on ne peut constater que c’est nous qui avons décollé…
Sitting here wishing on a cement floor / Just wishing that I had just something you wore / Bloody your hands on a cactus tree / Wipe it on your dress and send it to me (Cactus)
En insufflant davantage de rigueur à son élixir magique, le groupe donnera naissance l’année suivante à son grand œuvre, Doolittle. Surfer Rosa n’en demeure pas moins la porte d’entrée idéale pour pénétrer le jardin extraordinaire des Pixies et marque une date dans la petite histoire du rock, avec l’irruption de ce combo génial et pétaradant, fantasque et inquiétant, auteur de cette impressionnante échappée belle qui les laissera toujours loin devant le reste du troupeau.
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[…] avoir déjà secoué bien fort le rock avec l’enchaînement Come on pilgrim / Surfer Rosa, les Pixies plaçaient la barre quelques crans plus haut avec cet album doux, dur, dingue. Frank […]