Mes années 2010 : 60-51
60. Car Seat Headrest Destroyed by hippie powers (2016)
Sommet (à mon sens) de Teens of denial, Destroyed by hippie powers nous fait traverser une soirée chargée en drogues et en alcools avec un formidable mélange d’ironie mordante, d’auto-dérision et d’énergie rageuse. L’auditeur se retrouve proprement ballotté par les vagues de riffs électriques qui déferlent en un roulis furieux et qui figurent à merveille l’alternance de moments d’euphorie trouble et de nauséeux mal-être qui constituent le sel malaisant de ces instants bancals d’interaction sociale. Will Toledo laisse libre cours à sa verve brûlante et fait pleuvoir sur nos oreilles ravies une houle roborative qui rechargera vos batteries à chaque écoute. Le cavalier de l’orage a un coup dans le nez, profitez du spectacle !
Car Seat Headrest – Destroyed by hippie powers
59. Future Islands Like the moon (2014)
Magnifique rêverie romantique et synthétique, Like the moon est sans doute ce que le groupe mené par le charismatique Samuel T. Herring a pu produire de plus émouvant au fil de la décennie. Chargée de tendresse et de mélancolie, la chanson scintille sous les éclairages changeants projetés par les nappes de clavier tandis que le chant habité de Samuel T. Herring se drape de teintes chaudes et désolées. Car Like the moon demeure toujours emplie d’une forme de distance (celle qui mène à la Lune ?), comme creusée en son centre par une absence autour de laquelle elle semble ne jamais cesser d’orbiter. La chaleur des astres ne parvient jamais jusqu’à nous.
Future Islands – Like the moon
58. Beach House Myth (2012)
C’est avec ce morceau en perpétuelle expansion que le duo de Baltimore annonçait son prodigieux Bloom de 2012, confirmant par la même occasion que l’impressionnante ascension réalisée avec son précédent Teen dream de 2010 n’était en rien une apothéose. La paire Scally / Legrand porte à son point d’incandescence cette façon unique de dilater l’espace en le chargeant d’une formidable énergie volatile. Lancée sur orbite par quelques coups de cloche qu’on n’a pas fini d’entendre résonner, la guitare nébuleuse d’Alex Scally trace d’hypnotiques spirales autour d’un rythme métronomique et s’appuie sur la voix à la fois puissante et fragile de Victoria Legrand pour atteindre une intensité rougeoyante affolante. Ballade stellaire aux confins de la Voie Lactée, Myth est un vertige et une illusion, qui vous fera planer haut et longtemps.
57. Sufjan Stevens I walked (2010)
Il marche Sufjan, mais Dieu que le parcours paraît accidenté, le chemin caillouteux. C’est presque un chemin de croix que m’évoque à chaque écoute cet I walked bouleversant, tant le chant angélique du génial songwriter (dédoublé ici d’une bordée de chœurs célestes) semble avancer auréolé d’un halo lumineux au beau milieu d’un champ de mines. Déchirante chanson d’après-rupture, I walked cherche une échappatoire dans un paysage de désolation, fracturé de crevasses et parsemé de chausse-trapes que viennent creuser les trémulations synthétiques qui accompagnent le pas de notre marcheur. Comme toujours chez Sufjan Stevens, la beauté est l’unique refuge mais rarement le prodige de Detroit n’a paru si seul que durant ces cinq minutes de lave nébuleuse.
56. Grizzly Bear Yet again (2012)
Avec ce morceau de rock à la beauté labyrinthique, les New-yorkais de Grizzly Bear s’inscrivaient résolument dans les pas de la musique savante et fauve du Radiohead de Hail to the thief. Le groupe mêle avec une grande maîtrise la caresse et le papier de verre, le doux timbre d’Ed Droste se frottant à une instrumentation foisonnante (mais jamais pesante) où guitares, claviers et batterie dessinent un écheveau complexe et tendu. Le chanson paraît glisser sur coussin d’air jusqu’à un crescendo final chaotique et hachuré, qui nous laisse simplement hagards et reconnaissants.
55. Alvvays Party police (2014)
Si vous avez suivi ce classement, vous ne serez guère surpris-e-s de retrouver une fois de plus les Canadiens d’Alvvays, tant leur pop étincelante s’est durablement incrustée dans mon petit cœur ces dernières années. Avec sa mélodie lumineuse diffractée en gerbes phosphorescentes, Party police est une chanson soufflante, gonflée d’émotions fortes au point de menacer d’éclater. Le cœur de Molly Rankin semble en effet véritablement près de sortir de sa poitrine à mesure que sa voix s’en va se percher de plus en plus haut, escaladant jusqu’au vertige les branches d’une mélodie à tomber. Troublante et troublée, emplie jusqu’à la gueule de désirs et de mélancolie, toujours adoucie cependant d’une touche d’humour, Party police est de ces chansons qui rendent la vie plus belle, tout simplement.
54. Kurt Vile Pretty Pimpin (2015)
Morceau lancé en éclaireur de l’excellent b’lieve I’m goin’ down du songwriter le plus cool de sa génération, Pretty Pimpin dégage une forme de décontraction confuse propre au musicien de Philadelphie. La chanson avance, rutilante et confortable comme une belle voiture américaine, mais ne semble jamais vraiment vouloir aller nulle part, parcourant sans but les rues et les méandres de la psyché noueuse et rêvasseuse de Kurt Vile. Et au final, Pretty Pimpin exhale un étonnant magnétisme, accrochant ses suites d’accords au moindre recoin de notre cerveau.
53. Arcade Fire Reflektor (2013)
Fascinante réinvention d’un des groupes les plus passionnants de ce siècle, Reflektor l’album s’ouvre avec ce morceau mutant grâce auquel les Canadiens nous laissèrent encore une fois sur le cul. Parfaitement propulsé par la production du grand James Murphy (alias LCD Soundsystem), Arcade Fire investit un dance-floor souterrain au son d’une musique discoïde et accroche une boule à facettes au plafond des catacombes. La chanson est tout du long parcourue d’une électricité spectrale que le groupe s’emploie méthodiquement à porter à incandescence pour un crescendo aux allures de transe. L’arrivée de la voix de stentor chamanique de David Bowie vient encore rehausser les impressions causées par ce titre à l’eau-forte tandis que le riff tout bête qui parcourt le morceau n’a pas fini de résonner dans nos têtes.
52. Radiohead The numbers (2016)
On n’a sans doute pas fini de faire le tour des beautés de cet A moon shaped pool qui démontrait que Radiohead n’avait pas cessé d’être passionnant. On retrouvera les Oxfordiens encore un peu plus haut mais on pourra continuer longtemps de contempler la construction en spirale de cette chanson toute de vertiges ascensionnels. D’abord clair comme de l’eau de roche, The numbers se couvre peu à peu de nuages noirs et teintes tempétueuses que vient souffler une bordée de cordes droit sortie des grands frissons du Melody Nelson de Gainsbourg. Radiohead drape son message écolo d’une forme de rage sereine, chargée de tension et d’espérance lucide.
51. Cascadeur The crossing (2013)
On ne pourra que regretter que la pop cosmique, fragile et ambitieuse du Messin Alexandre Longo n’ait pas rencontré davantage d’écho public. Son Ghost surfer peut en tout cas prétendre sans rougir au titre de trésor caché tant il regorge de splendeurs enivrantes jouées le cœur au bord des lèvres. Parmi les hauts faits de ce disque qui n’en manque pas, Cascadeur nous emmène dans cette traversée bouleversante, cavalcade ascensionnelle menée le souffle court par un piano fiévreux sur un entrelacs sonore dense et lumineux. La chanson s’élève progressivement vers de vertigineuses hauteurs, accompagnée par le chant habité comme jamais du grand Stuart Staples et nous conduit en orbite géostationnaire, la tête dans les étoiles, les yeux brûlés par le soleil. Une merveille.