Le bon air des îles
Future Islands In evening air (2010, Thrill Jockey)
J’ai, comme beaucoup sans doute, découvert Future Islands en visionnant la formidable prestation délivrée par le groupe en 2014 sur le plateau du Late show de David Letterman qui laissa soufflé le célèbre animateur et des millions de spectateurs avec lui. Tout à la fois grandiloquente et magnifique, cette impressionnante performance me conduisit naturellement à aller jeter une oreille sur l’excellent Singles que le groupe défendait alors puis à remonter le fil d’une aventure discographique débutée quelques années plus tôt.
And Love, has died in song / Carried down by ancient tongues / Ferried around the water’s thrum / And winds, along a line / Along a whirl, a lonely girl
Vireo’s eye
Gerry Welmers, William Cashion et le charismatique front-man Samuel T. Herring fréquentent le même cursus artistique à l’East Carolina University de Greenville quand ils décident de fonder, avec quelques coreligionnaires, Art Lord & the Self Portraits, groupe mêlant apparemment les influences de Kraftwerk et du post-punk anglais avec un goût prononcé pour la théâtralité. L’expérience prend fin en 2005 mais le trio insiste. Tout ce beau monde se relocalise à Baltimore et Future Islands voit officiellement le jour en 2006. Un premier album, Wave like home, paraît en 2008 et permet au groupe d’affiner sa formule musicale. Avec In evening air viendra le temps de la confirmation.
You offer all amends in hopes of saving me / You never imagined I could be strong without you / You offer me a branch of peace that bleeds through / The thorns that welcomed me — now speak truth
Tin man
Sur cet album, Future Islands révèle tout le potentiel mélodique et sensible de sa musique. Le groupe délivre une pop synthétique qu’il aime lui-même à définir comme de la « post-wave », une façon de mélanger le romantisme de la new-wave et la puissance du post-punk. La définition n’est à vrai dire pas mal trouvée tant le charme de cette musique tient dans cette captivante combinaison entre la dynamique implacable impulsée par la basse de William Cashion, la patine coruscante des mélodies synthétiques et le pouvoir d’incarnation de Samuel Herring dont les textes souvent sombres viennent apporter tout le jeu de clair-obscur qui fait le sel de la meilleure pop. Écrites après une douloureuse rupture sentimentale, la plupart des chansons évoque ici sans fard les fêlures et les doutes habitant leur auteur pendant cette période de turbulences. Interprète hors normes, Herring occupe à merveille le devant de la scène, tantôt cabotin, tantôt d’une honnêteté désarmante, tandis que la rythmique démoniaque bâtie en arrière-plan par William Cashion confère à ces morceaux leur impressionnante dynamique. Les mélodies atmosphériques jouées au clavier s’occupent en bout de course de faire planer l’ensemble.
And you can’t look me in my eyes anymore / Without yourself to defend / You know you hurt me so bad / Just ‘cause you needed a hand (Long flight)
C’est cette formule à succès qui transporte ainsi le formidable triptyque qui ouvre l’album, Walking through that door, Long flight et Tin man, astronefs rutilants entourés de poussière d’étoiles, avec à la barre un type à la voix rocailleuse, passant sans vergogne du murmure au rugissement, et évoquant parfois Tom Waits perdu dans un disque de New Order. On pense en effet beaucoup au fil de ces chansons aux génies de Manchester et à tous leurs émules, comme aux Russes de Motorama sur le roboratif Swept inside. L’ombre de Joy Division n’est jamais loin non plus et les claviers habitant les intouchables Love will tear us apart ou Atmosphere apparaissent de-ci de-là en filigrane. Néanmoins, sur In evening air, Future Islands ne se montre jamais si convaincant que lorsque sa musique s’adresse autant à nos cœurs qu’à nos jambes, comme sur le pétulant Vireo’s eye ou sur les trois chansons ouvrant l’album. Quand le rythme ralentit, la pesanteur s’installe et alourdit par trop ces morceaux qui peinent alors à se mouvoir et à émouvoir. C’est là la limite d’un LP qui révélait néanmoins pleinement aux oreilles du monde un groupe important, qui a depuis largement confirmé les espoirs alors placés en lui, notamment avec son Singles de 2014.