Journal intime
Villagers Darling arithmetic (2015, Domino)
Je vous confiais il y a quelques semaines toute l’admiration que j’éprouvais pour le premier album du groupe (?) de l’Irlandais Conor O’Brien, ce remarquable Becoming a jackal de 2010. Je vous confierai ce soir l’amour immodéré que m’inspire ce formidable Darling arithmetic paru l’an dernier et qui révéla à mes oreilles le (très grand) talent du bonhomme.
I am just a man / Tipping on a wire / Tightrope walking fool / Balanced on desire
Everything I am is yours
Après la révélation Becoming a jackal, qui valut à Villagers une nomination au prestigieux Mercury Prize, le deuxième album du groupe, {Awayland}, paru en 2012, allait confirmer les qualités de songwriter de Conor O’Brien sans toutefois atteindre les cimes fréquentées par son prédécesseur. Et alors qu’ {Awayland} tendait vers davantage de sophistication (avec notamment l’adjonction de sonorités électroniques), Darling arithmetic marque lui une volonté contraire, vers le dépouillement et la recherche d’intimité. O’Brien fait ainsi le choix d’une mise à nu radicale, plus encore que celle qui bouleversait déjà sur son premier opus, et semble entreprendre une sorte de recentrage sur le noyau dur d’un songwriting qui n’aura jamais autant étincelé. Ce troisième album de Villagers sonne ainsi fréquemment comme un pur miracle, la preuve renouvelée que l’union d’une voix et d’une guitare acoustique peut décidément ouvrir un infini champ des possibles. Avec toute la subtilité dont il est capable, O’Brien étoffe cette dominante guitare/voix d’arrangements discrets qui ajoutent là une nuance de gris, ici un peu plus de clarté. Au final, ce Darling arithmetic crée une incroyable proximité avec son auteur, celle de la main consolatrice posée sur une épaule et tout se joue ici – comme chez le meilleur Lambchop dans un style assez différent – à hauteur d’homme, avec l’évidence désarmante de la simplicité.
So I go walking to the shore / And wonder what I’m walking for / Rain falling in the stream / As I try to figure out what it all means / And I find chameleon dreams in my mind
The soul serene
L’introductif Courage affiche d’entrée cette nudité saisissante, et cette ballade qui n’a l’air de rien prend sous nos yeux la forme d’une merveilleuse affirmation de soi, une bouleversante déclaration d’une force et d’une fragilité incroyables. O’Brien se montre tel qu’il est, là où il en est à trente ans passés, sans fard et sans trucage, et de cette exposition se dégage un mélange terrassant de beauté, de détermination et de lumière. Cette manière simple et belle, modeste et ferme de se dévoiler illumine sur bon nombre des morceaux de l’album et l’auditeur doté d’un cœur normalement constitué ne pourra s’empêcher d’être saisi à la gorge par la magnificence et l’intimité qui se dégagent de ces Dawning on me, Everything I am is yours ou The soul serene. On écoute alors O’Brien comme un ami, comme un frère, qui nous raconterait ses espoirs et ses doutes sentimentaux, qui nous livrerait sans en rajouter les difficultés rencontrées pour affirmer son homosexualité, entre tourments intimes (Courage) et regards haineux des autres (Little bigot ou la mention des « pretty young homophobes » sur l’extraordinaire Hot scary summer).
Do you really want to know about these lines on my face ? / Well, each and every one is testament / To all the mistakes I’ve had to make / To find courage
Courage
En neuf chansons et un peu plus de trente-cinq minutes, Villagers témoigne d’une justesse après laquelle courent des pelletées de musiciens après une vie de pratique. Tout semble à sa place sur ce disque, et si la mélancolie est partout présente (les doutes aussi), se dégage au final de l’ensemble une forme de sérénité humble qui fait qu’on se sent bien dans cette musique, que ces chansons nous consolent et nous élèvent aussi un peu. C’est tout simplement immense.
« …C’est tout simplement immense » : parfait résumé de ce superbe disque, un des meilleurs de 2015 !! Mélancolique, dépouillé, raffiné, mélodique….un bijou !!
A +