Kevin Morby Harlem river (2013, Woodsist)

Afin de prolonger le plaisir – un poil court d’ailleurs, pour être honnête – d’avoir vu le sieur Morby en concert pas plus tard que la semaine passée, je m’attarderai ce soir sur le premier album solo réalisé par le bonhomme, ce Harlem river paru il y a déjà sept ans.
Won’t you walk with me on the wild side / With my head in the air full of some child’s pride / And I’m up too far, I’m up too high / I cannot come down, I cannot meet your eye
Wild side (oh the places you go)
Natif du Texas mais ayant passé la majeure partie de son enfance au Kansas, Kevin Morby file assouvir ses fantasmes new-yorkais sitôt achevé le lycée en allant s’installer à Brooklyn. Au fil des ans, le garçon se fait les dents au sein de la scène foisonnante de la Grosse Pomme. Un temps bassiste de Woods, il enregistre également deux albums avec The Babies, le groupe formé avec Cassie Ramone, membre par ailleurs du combo punk The Vivian Girls. Après ces années new-yorkaises, Kevin Morby finit par reprendre la route pour aller voir du côté de la côte Ouest si l’herbe n’y serait pas plus verte.
Harlem River swallow me / Put your hands around my neck / Harlem River, I can’t breath / You’ve got the lights down now
Harlem river
C’est donc à Los Angeles que le garçon enregistre les huit chansons de Harlem river, sorte de déclaration d’amour et d’au revoir adressée à son ancien port d’attaches. New York est ainsi ici une référence constante, inspirant le titre du disque – aussi celui du morceau-phare de l’album – et lui prêtant ses plus illustres figures tutélaires, Lou Reed en tête. Kevin Morby ne masque d’ailleurs rien de ses influences, allant jusqu’à baptiser un de ses morceaux Wild side. Plus généralement, Morby s’inscrit explicitement dans une tradition folk-rock allant puiser à la source des grands maîtres. Prégnance des guitares électro-acoustiques, production boisée, nappes d’orgue Hammond, le bonhomme arpente des territoires maintes fois rebattus mais dont l’inépuisable fertilité continue de donner corps à des générations de songwriters de talent au fil des décennies. Pour sortir du lot, Kevin Morby peut compter sur son timbre de voix traînant qui habille sa musique d’une forme de décontraction sudiste. Il sait aussi vêtir ses chansons d’une sorte de nonchalance nomade, d’une humeur vagabonde patinant ses habits d’une couche de poussière dorée, le tout relevé d’une profondeur dépassant le simple effet de style.
On my way to work / I noticed that / I passed a cemetery / Oh lord I held my breath / Dead they don’t come back
The dead they don’t come back
L’introductif Miles miles miles annonce la couleur avec sa mélodie entêtante qui semble traverser les plaines du Midwest, quelque part entre les Allah-Las et The Band. Le thème central du déplacement, de l’errance (physique et mentale) s’invite dès l’ouverture et tout du long, Harlem river évoquera les semelles usées, le sac à dos et les envies d’ailleurs. Wild side (oh the places you go) avance sous la lumière de la lune, évoquant aussi bien le souvenir de Lou Reed que certaines mélodies de R.E.M. Le sommet de l’album est bien cependant la lente dérive de Harlem river, chanson-titre brumeuse et inquiétante, qui se déploie sur plus de neuf minutes et se révèle aussi attirante que menaçante, comme le fleuve dont elle porte le nom. Plus loin sur l’album, Morby invite la fascinante Cate Le Bon pour un duo cristallin, un Slow train qui cette fois adresse un clin d’œil appuyé au Slow train coming de Bob Dylan. Tout n’est pas parfait sur Harlem river, et le songwriting de Morby tend à ronronner un peu sur quelques morceaux (Reign, Sucker in the void) sans pour autant être déplaisant. Le garçon a cependant le goût de bien finir avec les tonalités country très dépouillées de The dead they don’t come back, sur lequel Morby, tel le joueur de flûte de Hamelin, semble attirer derrière lui une farandole de feux follets, traversant marécages et cimetières accompagné de ce cortège de flammes fantômes. Peut-être pour mieux conjurer le sort et la peur de la mort.
Standing on the platform, waiting for that train / Son, you are too late now, train already came / Waiting out the rain now, waiting for that sun / I’m waiting on a train that’s already gone
Slow train
Kevin Morby poursuit sa route depuis ce disque inaugural qui laissait déjà présager un futur prometteur. Le bonhomme a fait paraître depuis pas moins de quatre albums, le meilleur étant à mes yeux son fantastique Singing saw de 2016. Il s’est en tout cas imposé – avec d’autres (comme Kurt Vile ou Cass McCombs par exemple) comme une des figures d’une famille indie-folk-rock apparue ces dernières années dont on recommandera vivement la fréquentation.