Au bal des perdants
La vision des Jeux Olympiques durant l’été m’a donné envie de concocter une petite playlist en hommage à ceux sans qui les vainqueurs, célébrés ad nauseam, ne seraient rien que des participants solitaires, j’ai nommé les perdants. Il sera donc question ici de lose, d’échec, de défaite le temps de 10 morceaux qui sont, pour leur part, de vraies réussites.
1. Beck Loser (1994, Mellow gold)
Impossible de ne pas inclure dans cette sélection ce morceau aussi magistral que foutraque, greffe proprement inouïe de blues (ce riff de guitare slide !), de rap et d’esprit punk. En plus de révéler le génie de Beck Hansen (bien aidé ici par Carl Stephenson et un sample de Dr John) qui deviendra le temps de quelques disques notre meilleur ami musical, Loser décrochera la timbale au point d’atteindre au rang d’hymne générationnel et de finir par écœurer jusqu’à son créateur. On ne s’en est pour notre part jamais lassé.
2. Sentridoh Losercore (1993, Losercore/Really insane EP)
En marge du hardcore joué par son groupe Sebadoh, Lou Barlow débranchait les guitares pour s’incarner en prince des perdants, promoteur d’un losercore au panache en berne auquel se rallieront les vaincus, sans espoir de l’emporter un jour. Trop souvent caricaturé en pape du lo-fi, cette esthétique du peu tendant parfois vers le pas assez, Lou Barlow livre ici une chanson formidable et bouleversante, à l’acoustique inquiète, le cœur battue et les nerfs en pelote.
3. Daniel Johnston I lose (2001, Rejected unknown)
Il serait tentant d’accoler au bouleversant Daniel Johnston le titre de “perdant magnifique”, on se contentera de célébrer en lui le songwriter majuscule et régulièrement poignant. Sur ce I lose à la démarche peu assurée, Johnston se confronte une fois de plus à la difficulté de faire accepter sa différence, à s’adapter à un monde qui ne semble lui réserver que coups bas et rebuffades. Entre éloge de la persévérance et désabusement profond, cette ballade d’apparence légère et enfantine abrite un monde en elle.
4. Loney, Dear I lose it all (2006, Sologne)
Je connais mal la discographie d’Emil Svanängen, l’homme qui se cache sous ce drôle de nom de scène. Je connais au moins cette chanson, imposante construction pop qui progresse crescendo vers un final scintillant, où des milliers de larmes semblent couler sur des milliers de fleurs en train d’éclore, laissant l’auditeur quelque part entre euphorie et mélancolie.
5. The Silver Jews Strange victory, strange defeat (2008, Lookout mountain, lookout sea)
Je ne prétendrai pas être fin connaisseur de l’œuvre des Silver Jews, que j’avoue n’avoir croisé qu’épisodiquement depuis leur remarquable Starlite walker de 1994 et qui m’intéressait alors davantage comme side-project de deux membres des adorés Pavement. C’était méconnaître le talent singulier de David Berman, cerveau d’un groupe qui trace depuis plus de 20 ans son sillon au sein de l’indie-rock américain. Il nous livre ici un morceau empli de grands espaces, à l’élégance classique d’une maturité diablement séduisante, folk-pop ligne claire teintée de country, évoluant quelque part entre le Pavement de Range life, les Byrds et les Pernice Brothers.
6. The La’s Failure (1990, The La’s)
Là encore, il serait tentant de résumer la “carrière” du prodigieux groupe de Lee Mavers à ce mot d’échec (“failure”) mais comment parler d’échec à l’écoute de ces chansons nerveuses et sublimes, quintessence pop après laquelle courront des générations de groupes. The La’s est bien une réussite éclatante et si le mutisme artistique subséquent de Mavers peut s’assimiler à un gâchis, ce disque demeure un petit miracle au parfum d’éternité.
7. Travis 3 times and you lose (2007, The boy with no name)
On se gardera bien de comparer Travis aux La’s mais ce groupe parfois moqué a su semer derrière lui au fil des années 2000, et après des débuts poussifs, quelques mélodies agréables, quelques titres joliment crayonnés au romantisme rêveur, tel ce 3 times and you lose qui ouvre leur cinquième album.
8. Amy Winehouse Love is a losing game (2007, Back to black)
Si j’ai pu pester contre l’hystérie louangeuse ayant accompagné la mort tragique de la dame, il ne s’agirait pas pour autant de nier les qualités certaines de ce qui reste un très bon disque. Si Love is a losing game n’est pas mon titre préféré, il n’en demeure pas moins une ballade à chialer dans son verre, où la soie des arrangements soul accompagne à merveille le velours (doux et rugueux) de la voix d’Amy Winehouse.
9. Kings of Convenience Winning a battle, losing the war (2001, Quiet is the new loud)
Ce morceau empli de brouillard et d’une mélancolie crampon ouvrait le premier album de ce remarquable duo norvégien, Simon & Garfunkel du Grand Nord au talent éclatant. Une belle façon de découvrir l’univers du duo, entre harmonies vocales et arpèges de guitare, le tout nimbé d’une pointe de mystère et d’un zeste d’innocence. De la bien belle ouvrage.
10. Orelsan Soirée ratée (2009, Perdu d’avance)
Loin des polémiques stupides qui l’ont à la fois blessé et propulsé sur le devant de la scène, Orelsan mérite qu’on l’écoute vraiment. On entendra alors l’une des voix les plus originales de la musique française actuelle, portraitiste brillant de toute une jeunesse désabusée, sans grand présent et sans grand avenir, entre désœuvrement et grandes espérances vite taclées par la réalité. Plusieurs titres de cet album aurait pu figurer ici, on retiendra cette irrésistible Soirée ratée, drôle et glauque à la fois, pour ce qu’il nous rappelle aussi de ce qu’on a été.