Le tout ou les parties
Belle & Sebastian Fold your hands child, you walk like a peasant (2000, Jeepster)
Beaucoup d’amour peut parfois conduire à une forme d’ingratitude. Pour avoir tant chéri l’inépuisable If you’re feeling sinister des Écossais de Belle & Sebastian, j’avais sans doute placé des espérances démesurées dans son successeur, The boy with the Arab Strap lequel, malgré d’indéniables qualités, ne parvint jamais à la mesure de mes attentes. Fold your hands… m’apparaissait donc un peu comme un disque charnière, que j’espérais voir planer aux mêmes hauteurs que mon petit favori. Hélas, la troupe de Stuart Murdoch peinait une fois de plus à transformer l’essai et progressivement, Belle & Sebastian cessa pour moi d’être un groupe de son temps, demeurant à mes yeux éternellement lié aux charmes infinis de ses premiers moments. La réécoute récente de Fold your hands child, you walk like a peasant me fait me rendre compte de mon ingratitude, et ce alors que le groupe revient justement dans l’actualité discographique des dernières semaines avec la sortie de son How to solve our human problems.
I could dance all night like I’m a soul boy / But I know I’d rather drag myself across the dance floor / I feel like dancing on my own / Where no one knows me, and where I / Can cause offence just by the way I look
There’s too much love
Soyons honnêtes, il ne s’agira pas de constituer ce quatrième LP du groupe en chef-d’œuvre qu’il n’est pas. Fold your hands… ne saurait aucunement prétendre aux hommages appuyés (cent fois mérités) reçus par If you’re feeling sinister. Il dispose néanmoins de suffisamment d’atouts pour que tout amateur de mélodies délicates et d’arrangements précieux lui tresse quelques louanges. Musicalement, Fold your hands… n’apporte aucune évolution majeure au tempérament mélodique du groupe. Belle & Sebastian continue de tracer des lignes entre quelques points cardinaux de la pop des quarante dernières années, de Françoise Hardy à The Left Banke, de Felt aux productions panoramiques de Phil Spector. Commercialement en revanche, le groupe est alors en train d’atteindre une nouvelle dimension, un an après avoir été distingué lors de la fameuse cérémonie des Brit Awards. On ne sait si ce fut le fait de cette pression inédite mais l’enregistrement de Fold your hands… semble avoir été particulièrement difficile aux yeux de plusieurs membres du groupe, et l’un des membres originels, Stuart David claquera la porte dès après la sortie de l’album. Murdoch continue en tout cas de progressivement démocratiser la production de Belle & Sebastian, laissant le micro et la plume à plusieurs reprises à Isobel Campbell, Stevie Jackson ou Sarah Martin. Paradoxalement, si ces voix différentes se coulent dans le moule initialement conçu par Stuart Murdoch pour toujours sonner comme du Belle & Sebastian, elles affaiblissent aussi la cohérence d’ensemble qui faisait le prix de If you’re feeling sinister au point que beaucoup souhaiteront à l’époque que le bonhomme parte entamer une carrière solo. Cette étrange tension entre le tout et les parties marque les limites de ce disque-puzzle d’où émergent quand même assez nettement les compositions de Stuart Murdoch.
I will confess to you / Because you made me think about the times / You turn the pictures on to me and I’ll turn over / The vision was a masterpiece of comic timing
The model
Fold your hands child… est ainsi un disque hétérogène, qui fait se côtoyer de vraies grandes chansons et des bluettes plus anodines, à la limite de l’insignifiance. On s’emballera ainsi au son du génial There’s too much love, merveille de soul-pop aux idées larges qui clôt l’album en apesanteur, alors qu’on aura consciencieusement piqué du nez à l’écoute de Before the sunrise. The model et son clavier bien tempéré nous embarque dans une dérive rêveuse et lumineuse tandis que The wrong girl s’oublie aussi vite qu’il s’écoute. L’album balance ainsi constamment entre moments de grâce et morceaux poussifs, parfois à l’intérieur même de certaines chansons. Waiting for the moon to rise menace ainsi d’abord de sombrer dans l’auto-caricature avant que la mélodie ne s’étoffe par l’ajout de chœurs et d’une ligne de piano magnifique lui conférant une dimension inattendue. Sur cet album bancal, on relèvera quand même que Stuart Murdoch aborde ici quelques thèmes plus graves que d’habitude, autres que les troubles sentimentaux et existentiels de jeunes gens entrant dans l’âge adulte. Ce sera ainsi l’évocation de la guerre sur l’introductif et efficace I fought in a war. Ce sera surtout le viol sur le poignant The chalet lines, bouleversante ballade tremblée au piano et qui résonne avec encore plus de force dans le contexte actuel.
He raped me in the chalet lines / The girl I shared with was away for the night / I couldn’t get up for my shift today / I’ll have to leave the camp now anyway / I’ll go to London there’s a mate of mine I know / She’ll give me a place / Full of woe and further to go
The chalet lines
Fold your hands child, you walk like a peasant apparaît avec le recul comme un disque de transition dans la discographie de Belle & Sebastian. Le groupe perdra bientôt deux de ses membres originels (Stuart David et Isobel Campbell) et sortira son album suivant sur un nouveau label avec un nouveau producteur, comme pour régénérer une formule qui menaçait de tourner à vide. Belle & Sebastian ne surpassera sans doute jamais If you’re feeling sinister mais il serait injuste de déconsidérer pour autant la suite de l’aventure du groupe, qui regorge de chansons de haute volée, d’airs à siffler sous la douche et de mélodies à faire plier les cœurs.