Le pop club
Ed Harcourt From every sphere (2003, Heavenly / Capitol)
Avec son Here be monsters de 2001, l’Anglais Ed Harcourt gagnait son billet pour entrer dans la confrérie des faiseurs de pop distinguée. Si l’album manquait par trop de génie pour aller tutoyer les plus fines plumes de la catégorie (d’Elliott Smith à Neil Hannon), le garçon démontrait suffisamment d’habileté pour semer dans nos cœurs quelques mélodies mémorables (ces She fell into my arms ou Apple of my eye) et faire naître des promesses de beaux lendemains, d’autant que ce premier opus lui valait de décrocher une nomination pour le prestigieux Mercury Prize.
Alcohol, company I need to readjust / From this place of dust let’s go drink tonight / And at the bar we’ll drink ’til dawn and I’ll pretend I’m dead / Whilst resting my poor head by the neon light
The birds will sing for us
Deux ans plus tard, Ed Harcourt revenait donc aux affaires avec ce From every sphere, et il serait tentant de prime abord d’écrire qu’on retrouvait notre fils de bonne famille peu ou prou là où on l’avait laissé. Jeune homme bien né (fils de diplomate), qui vécut un temps dans le manoir cossu et reculé de sa grand-mère dans le Sussex, Ed Harcourt n’est sans doute pas du genre à briser la vaisselle, à lacérer les rideaux, à fomenter une révolution de palais. Le garçon remet plutôt ici ses chansons sur le métier, celui d’une pop ouvragée, romantique et élégante, aux arrangements subtils et finement ourlés. On retrouve donc ces mélodies soigneusement façonnées, cherchant à approcher la distinction des grands maîtres, de Randy Newman à Burt Bacharach. From every sphere ne constitue pas pour autant une simple réplique de son prédécesseur. Ed Harcourt affiche en effet davantage de maîtrise et de constance, maintenant un niveau moyen supérieur à celui de son précédent opus, et décochant quelques flèches d’or à même de transpercer le cœur de tout amateur de pop aux idées larges.
All of your days will be blessed / So put on a smile and get dressed / Into the void we will fly away from here
All of your days will be blessed
Ed Harcourt a ainsi le bon goût de placer en ouverture le somptueux Bittersweet heart, ballade au piano doré à l’or fin et qui évolue en funambule sur le fil ténu séparant le pur bonheur de la mélancolie. Harcourt tient ici la dragée haute à quelques uns de ses maîtres ou de ses plus brillants condisciples (n’est-ce pas Rufus Wainwright ?) et nous met l’eau à la bouche pour la suite. Celle-ci s’avère d’ailleurs de fort bel acabit avec l’épatant All of your days will be blessed, enivrant carrousel aux saveurs capiteuses. Ed Harcourt s’en va fréquenter les cimes à plusieurs reprises au fil de l’album, entre la lumière pastorale de The birds will sing for us et les transports tempétueux et sublimes de Watching the sun come up, sur lequel la trompette vient souffler dans les voiles de guitares toutes en larsens. On appréciera aussi les teintes bleu nuit qui entourent le délicat Jetsetter ou le plus convenu mais charmant Fireflies take flight. Dommage que le garçon nous perde un peu en route sur quelques morceaux moins aboutis, tels ces Ghostwriter ou Undertaker strut, sur lesquels Harcourt affiche son amour pour le lyrisme rugueux de Tom Waits sans parvenir à convaincre. On regrettera aussi quelques longueurs – comme sur le terminal From every sphere – et le charme noctambule de Bleed a river deep ou de Sister Renee n’agit que trop superficiellement. On admirera quand même au passage les talents impressionnants de multi-instrumentiste du bonhomme, qui joue à lui seul d’une bonne dizaine d’instruments.
Drift through the air like a paper plane / Rainbow colours pulsate through the brain / I’m aware that I’m speaking but the words come out wrong / So I’ll put it across in a simple song
Jetsetter
Même s’il est sans doute plus abouti, From every sphere me laisse au final un peu la même impression que Here be monsters, celle d’avoir à faire à un songwriter doué, un bon élève capable de vraies fulgurances, mais à qui il manque ce « je ne sais quoi » qui le hisserait à hauteur d’autres auteurs-compositeurs majeurs eux aussi férus de pop ambitieuse et orchestrée. J’avoue un peu honteusement ne pas savoir si le bonhomme a su trouver cette étincelle, étant complètement passé à côté de la suite de sa discographie, riche de pas moins de 5 autres LP depuis ce From every sphere jusqu’à son dernier Furnaces paru en 2016.
1 réponse
[…] réussite de ce premier opus avec son successeur, à mon sens encore un cran au-dessus, le superbe From every sphere de 2003. Notre fils de bonne famille a depuis enregistré quatre autres albums, le dernier en date […]