L’envol de l’ange
Vic Chesnutt Is the actor happy? (1995, Texas Hotel)
Avec ce disque-là, sans doute un des plus bouleversants que je connaisse, Chesnutt réussit son coup de maître. Enfin placé dans des conditions d’enregistrement confortables et assisté d’une production lumineuse, il aligne ici 13 chansons magnifiques, graves et étincelantes. Fidèle à son style mêlant country, folk et blues, Vic Chesnutt gagne ici en ampleur et en profondeur de champ. Chaque note occupe l’espace comme jamais, chaque accord tombe au plus juste. Comme touché par la grâce, l’ange déchu Chesnutt atteint ici les sommets d’un Neil Young ou de R.E.M. sur leur grandiose et crépusculaire Automatic for the people.
Même s’il continue de charrier des fêlures grosses comme des crevasses, Vic Chesnutt se fait moins âpre, moins bilieux, plus accueillant sans perdre la rage et la tristesse qui l’habitent. Entre arpèges folk et déflagrations électriques, Chesnutt continue de nous raconter ses histoires tristes offertes dans un écrin d’argent, sans jamais sombrer dans un quelconque pathos. Tout reste joué la tête haute, formidablement tenu, sans déluge de larmes mais la gorge toujours serrée.
L’album est constellé de pépites exceptionnelles. Après le déjà superbe Gravity of the situation exécuté en ouverture, le somptueux Sad Peter Pan déroule un canevas d’une pureté et d’une fragilité bouleversantes, perle de cristal brillant au fonds d’un puits, chanson pour cœurs lourds et âmes fatiguées, jouée comme on sangloterait en cachette pour ne pas être vu mais en espérant toujours une main secourable: “You touched me and then you ran / Left some sad Peter Pan / All alone and awkward / But a transformation / I swear it will occur”. Parmi les autres sommets du disque, on peut retenir le folk baladeur du superbe Onion soup, où la lucidité l’emporte sur la détresse et permet d’aller de l’avant. A écouter aussi le poignant Free of hope, où Chesnutt solde ses comptes avec violence (“Free of hope / Free of the past / Thank you God of nothing / I’m free at last” ) sous un ciel de guitares orageuses. Le merveilleux Betty lonely dresse un magnifique portrait de femme et l’incisif Thailand et ses guitares en boule précède le final miraculeux de Guilty by association, sur lequel la voix de Michael Stipe (de REM) vient rejoindre celle de Chesnutt pour une conclusion en apesanteur, relevée par les cordes de Lambchop, et laissant l’auditeur au bord des larmes. Un ange s’est posé brièvement sur son épaule.
Je n’ai retenu que les morceaux les plus saillants, mais l’ensemble du disque se joue à très haute altitude. Ce disque demeure encore un de mes disques préférés (sans doute dans mon top 30, en tout cas dans le top 50) .
5 réponses
[…] à eux, préférant de loin les merveilleux tourments d’une americana désolée (Will Oldham, Vic Chesnutt…) ou les acrobaties sans filet de têtes brûlées et chercheuses naviguant dans les eaux du […]
[…] toujours quelque peu pâti de devoir succéder à son fabuleux prédécesseur, l’intouchable Is the actor happy ? qui reste encore aujourd’hui l’un de mes disques préférés de tous les temps, […]
[…] L’envol de l’ange » […]
[…] Mes lecteurs habituels savent tout le bien que je pense du bonhomme, chérissant notamment son Is the actor happy? de 1995 comme un des plus beaux trésors cachés de l’histoire du rock. J’étais donc […]
[…] Chesnutt va se hisser au septième ciel avec son album suivant Is the actor happy? (1995) qui reste encore aujourd’hui un de mes disques préférés de tous les temps (dans les […]