Sucre glace
The Drums S/T (2010, Moshi Moshi)
Ceux-là, franchement, j’étais passé à côté. Les puristes s’en offusqueront peut-être mais mon suivi de l’actualité musicale est souvent à géométrie variable et il faut croire qu’à l’époque, j’avais les oreilles ailleurs. J’avoue de plus davantage rechercher dans la musique les « pitons et monts élancés » évoqués par Dominique A qu’un indicateur de l’air du temps (même si l’un n’empêche pas l’autre et m’intéresse aussi). Toujours est-il que dix ans après sa sortie, le premier album de ces New-yorkais s’est mis à squatter assidûment mes différents supports d’écoute, pour mon plus grand plaisir.
It’s a lovely night with the moon in the sky / It’s a lovely night with that look in your eye / But you still sleep with your back to me / Is it me and you or is it me and the moon?
Me and the moon
Après une première expérience avortée sous le nom d’Elkland en 2004-2005, Jonathan Pierce et Jacob Graham, deux amis d’enfance, se retrouvent trois ans après pour leur nouveau projet, The Drums. Leur premier EP, Summertime, les propulse – à juste titre, on recommandera par exemple le génial « Don’t be a jerk, Johnny« – au rang de next big thing dans le Landerneau de la critique pop-rock et la sortie de ce premier LP éponyme sera attendue avec une impatience qui allait s’avérer, ma foi, fort bien récompensée. Avec The Drums, l’amateur de pop-rock se retrouve propulsé une vingtaine d’années en arrière, redécouvrant comme au premier jour le bonheur d’une indie-pop portant haut son romantisme mélancolique et ses mélodies en or massif. The Drums revendique fièrement des influences ô combien précieuses, Smiths et New Order en figures tutélaires mais on y entendra aussi les échos d’autres figures moins célébrées, de Field Mice à The Wake. On y entendra aussi un amour évident pour les mélodies sucrées de la pop 60’s et pour ces chansons qui ne cessent d’essayer d’exprimer en trois minutes chrono les tourments et les joies ineffables de la jeunesse et du cœur. Tout le monde peut cependant revendiquer des influences de choix, encore faut-il savoir qu’en faire. A ce jeu-là, The Drums aligne suffisamment d’atouts pour décrocher la timbale.
Down, down baby / Down by the rollercoaster / Sweet, sweet baby / I’ll never let you go
Let’s go surfing
Il y a d’abord cet indéniable talent pour composer des mélodies puissamment addictives, des airs à siffloter sous la douche ou à chanter à pleins poumons et qui vous colleront aux tympans des heures durant sans jamais vous lasser. The Drums s’y entend à merveille pour semer au fil de ses morceaux des attrape-cœurs à foison, d’irrésistibles gimmicks (handclaps, flûte, guirlandes de claviers tournicotant, sifflements…) qui viennent colorer ces chansons de mille nuances arc-en-ciel. Il y a aussi – et peut-être surtout – cette façon de jouer avec une simplicité maximale, cette forme d’économie de moyens qui confère au groupe à la fois l’évidence et la justesse. The Drums n’en fait (presque) jamais trop, ce qui le dote d’une redoutable efficacité et d’un charme immense. Pas d’arrogance bavarde ici mais une sorte d’impudence qui resterait sur la retenue, une timidité pétrie d’orgueil et d’innocence qui fait naviguer ces chansons entre la brillance et la noirceur.
My life’s a book of short stories / And we wrote a new one everyday / I don’t understand anymore / You don’t love me anymore
Book of stories
Certes, tout n’est pas parfait et le groupe connaît ici ou là quelques baisses de régime sur lesquelles on passera sans s’attarder (Forever and ever amen ou We tried). Mais dans l’ensemble, The Drums regorge de tubes en puissance, tour à tour touchants, roboratifs, primesautiers ou emplis de nostalgie. L’album s’ouvre sur l’épatant tressautement de Best friend qui abat déjà les cartes maîtresses du groupe : basse en avant, arpèges de guitare baignés de reverb et nappes de clavier enveloppantes comme une couche de sucre glace à la douceur givrée. Parmi les sommets du disque, on mentionnera sans exhaustivité l’emballant Me and the moon (comme The Organ reprenant les Smiths), l’imparable Let’s go surfing et son sifflement entêtant ou le slow mouillé mais au final diablement touchant Down by the water. Mon petit cœur s’emballe aussi pour la grâce fragile de Book of stories qui flotte sur un tapis de claviers ou pour le déchirant It will all end of tears au romantisme blasé. The Drums a de surcroît l’intelligence de savoir conclure en beauté, alignant en fin d’album un triptyque de toute beauté, entre la douceur synthétique de I need fun in my life, la clarté vibrante du magnifique I’ll never drop my sword et le génial The future terminal, qui trace justement des perspectives nouvelles et prometteuses en faisant souffler en fin de parcours un vent polaire d’une intensité jusque là inédite. Le souffle de la jeunesse sonique…
I don’t feel sorry when you cry / I don’t believe you when you lie / Because your eyes are always saying goodbye / Saying goodbye
It will all end in tears
Il n’est jamais trop tard pour découvrir un bon groupe et un bon disque. The Drums aura d’ailleurs l’excellent goût de faire paraître moins d’un an plus tard un deuxième LP peut-être encore meilleur, Portamento en 2011. Le dernier opus des Drums et son cinquième en date, Brutalism, est paru l’an dernier. Je n’en connais pour le moment quasiment rien.