Dexys Midnight Runners Searching for the young soul rebels (1980, EMI)
Après s’être essayés au punk – comme beaucoup dans l’Angleterre post-1977 – au sein des anonymes Killjoys, Kevin Rowland et Kevin Archer décident de changer radicalement d’orientation musicale en allant puiser dans leur amour pour la soul, ses cuivres et sa fièvre, notamment la soul « blanche » qui déferla sur les ondes britanniques à la fin des années 1960. Les deux compères assemblent autour d’eux un sextet faisant la part belle aux cuivres et prennent le nom de Dexys Midnight Runners, en référence à la déxedrine, stimulant fort usité dans le monde des clubbers de « Northern soul » leur permettant d’enflammer la piste la nuit entière. Rowland s’impose très vite comme le cerveau et le chef de bande, aux manières dictatoriales (il imposera notamment un régime sans drogue ni alcool au groupe avant les concerts, à la manière de James Brown régentant son orchestre) et à la volonté affirmée de tout contrôler. Il s’occupe notamment de donner un look au groupe, les revêtant de la tenue de docker de Robert de Niro dans Mean streets. Il astreint surtout sa bande à travailler sans relâche pour atteindre les sommets, et le groupe alterne journées de répétition et soirées dans les bars à évoquer son glorieux avenir. Les Dexys sont repérés par EMI qui publie leur premier single Dance stance mais c’est leur deuxième 45 tours, Geno, qui décroche une improbable timbale en Grande-Bretagne. Le groupe entre en studio pour coucher son premier LP, dont la sortie sera retardée par un épisode assez révélateur du caractère de Kevin Rowland. Mécontent des conditions financières fixées par sa maison de disques, celui-ci entraîne le groupe à kidnapper les bandes afin de disposer d’un moyen de pression pour rehausser leurs royalties à la hausse. Searching for the young soul rebels paraît finalement à l’été 1980 et on ne remerciera jamais assez EMI d’avoir cédé au chantage de Kevin Rowland.
You see Robin, I’m just searching for the young soul rebels, and I can’t find them anywhere / Where have you hidden them ? / Maybe you should welcome the new soul vision
There, there my dear
Les premières notes de Burn it down, relecture de Dance stance, donnent le ton : une main invisible navigue sur les ondes d’une radio grésillante, passant successivement des morceaux de Deep Purple, les Sex Pistols et les Specials avant que la sentence ne tombe de la voix rageuse de Kevin Rowland : « For God’s sake, burn it down ». Déboule alors une salve de cuivres en majesté portée par une rythmique entraînante avant que ne surgisse le chant hors normes de Kevin Rowland, mêlant dans un même souffle étranglé tension, romantisme, arrogance et envie d’en découdre. Car selon Kevin Rowland, la soul-music est un sport de combat. Loin des hommages révérencieux, Rowland secoue la soul comme un prunier et en fait tomber des merveilles de morceaux fiévreux et inflammables. Les Dexys insufflent la rage qui habitait les guitares punk dans un ensemble de cuivres fumants et alors que la new-wave glace une partie du paysage musical anglais, la bande à Rowland joue une musique en perpétuelle ébullition. Au centre du jeu, le chant unique de Kevin Rowland dit le désir et l’orgueil, l’envie d’être aimé et la volonté farouche de s’affirmer, un peu à la manière de Jarvis Cocker avec Pulp.
Seen quite a bit in my twenty-three years / I’ve been manic-depressive / And I’ve spat a few tears / I’ve been spat on and shat on / And made to eat soap / I’ve been working and shirking / For what, I don’t know
Tell me when my light turns green
En un mot, cette musique dépote et ça fait un bien fou. L’album s’ouvre sur un formidable brelan, l’épatant Burn it down introductif enchaînant avec le génial Tell me when my lights turn green et un instrumental en pleine combustion, The teams that meet in caffs. Les Dexys maintiennent l’intensité également sur les ballades, et Rowland se fend ainsi de deux torch-songs magnétiques et écorchées, I’m just looking et I couldn’t help if I tried. Le groupe s’offre aussi une reprise classieuse et frénétique du Seven days too long de Chuck Wood, sur laquelle il est impossible que vos pieds ne prennent pas le dessus sur votre esprit. Tout le disque est à l’avenant, grand feu de joie tour à tour jubilatoire et torturé, qui se conclut par un There, there my dear qui sonne comme une véritable profession de foi, sur lequel Rowland règle ses comptes avec les artistes qui se complaisent dans l’apparence sans avoir la substance.
If you keep on calling / I don’t think I’ll give anymore / Cos you drank my blood / And there’s no more left for you / Yes you shot to kill / But you couldn’t see it through
I couldn’t help if I tried
Searching for the young soul rebels demeure presque quarante ans après sa parution d’une urgence inépuisable, et constitue un des premiers albums les plus exaltés et exaltants de l’histoire du rock. Les Dexys Midnight Runners ont mené depuis une carrière chaotique, le personnel changeant sans cesse au gré des humeurs (difficiles) de Kevin Rowland. Le groupe décrochera un énorme tube international avec l’enjoué Come on Eileen (que tout individu normalement constitué a forcément entendu au moins une fois) sur son deuxième album, Too-ry-ay (1983). Après un troisième opus, les Dexys se mettront en veilleuse 27 ans – Kevin Rowland menant dans l’intervalle une carrière solo – avant de revenir en 2012 avec One day I’m going to soar.