Volée de bois vert
Silvain Vanot Sur des arbres (1995, Labels)
Au milieu des années 1990, aux côtés de Dominique A et de Miossec, le Rouennais Silvain Vanot représentait à nos yeux comme le troisième sommet d’une sorte de triangle d’or du rock français. Sur un premier album remarquable et remarqué – dont il fut d’ailleurs question dans ces pages – , le bonhomme s’employait avec ardeur à frotter un folk-rock directement puisé à la source des grands fleuves américains (Neil Young en tête) à des textes puisant à la tradition littéraire française classique. Silvain Vanot célébrait sous un ciel charbonneux la rencontre entre la Pléiade et l’Americana, le temps d’un disque âpre et tendu qui nous montrait – à peine sortis de l’adolescence – que le rock d’ici pouvait exister en français.
J’ai mis le feu au petit bois / Mais pas pour avoir moins froid / J’ai mis le feu au petit bois / Pour mieux voir jusque chez toi
Petit bois
Deux ans après son premier album éponyme, Silvan Vanot revenait donc deux ans plus tard avec ce Sur des arbres. Pour filer, comme le titre nous y invite, la métaphore sylvestre, on pourra dire que Vanot foule ici peu ou prou les mêmes sentiers boisés que ceux déjà parcourus. Les chansons oscillent ainsi toujours entre déflagrations électriques et faux-plats acoustiques, entre clairières de quiétude bordées d’épines et violents coups de tabac soufflant fort dans les branchages. L’inspiration anglo-saxonne (et principalement nord-américaine) demeure prégnante mais continue de se mêler à la sensibilité lettrée du bonhomme, comme le démontre notamment sa mise en musique du poème de Charles Cros, Bonne fortune. S’il ne révolutionne pas son petit palais personnel, Silvain Vanot s’emploie cependant à assouplir davantage une expression parfois corsetée par trop de rigidité. Il n’est pas encore l’heure d’ouvrir grand portes et fenêtres mais quelques courants d’air bienvenus viennent faire frissonner les meilleurs morceaux du lot. Ce désir d’ouverture se traduit aussi par l’accueil de nouveaux partenaires de jeu chargés d’apporter leur touche au tableau agencé par le maître de maison. On retrouve ainsi ici des gens aussi respectables que Vincent Segal, Marc Ribot, Nikki Sudden ou Dominique A himself qui vient accompagner Vanot le temps d’une superbe reprise de Marc Bolan.
Je passe des journées à ne rien faire / Les pieds bien ancrés dans la terre / Je ne veux plus de vos nouvelles / Je peux aussi bien me passer d’elles / Il y a l’instant que je guette / Quand j’ai grand besoin de joie / Accoudé à ma fenêtre / J’entends résonner ses pas
L’instant que je guette
Le disque s’ouvre sur l’acoustique chaleureuse du très réussi Petit bois, mais Vanot s’y révèle déjà avec malice en incendiaire assumé. La rondeur d’une pedal steel très inspirée et le texte d’apparence légère recèlent aussi leur lot de péril. Ce Petit bois charmant laisse place à la rage électrifiée du Soutien du Roy, qui dévoile un Vanot enragé et engagé. La fougue affichée finit par emporter le morceau mais au fil du disque, ce sont bien les chansons à prédominance acoustique qui nous touchent davantage. C’est par exemple la grâce fragile du magnifique L’instant que je guette, ourlée merveilleusement de gouttes de piano. C’est plus loin l’impatience teintée d’amertume de La même farine sur lequel une poignée de cordes réussit à exprimer successivement la fièvre et la souplesse. Bonne fortune est elle aussi gonflée de cet empressement qui semble faire parfois bouillir le sang dans les veines de Silvain Vanot. C’est d’ailleurs cette verdeur tendant parfois vers l’aigreur qui dessert les titres les plus électriques de l’album, en semblant parfois les empêcher de décoller et les contraindre au rase-mottes, tel Sur des arbres par exemple. Les quatre dernières chansons de Sur des arbres viennent confirmer à quel point Silvain Vanot gagne à aérer sa musique. On apprécie ainsi l’acoustique rêche et riche à la Dick Annegarn de Trop tôt et la candeur de comptine de La journée Lullaby. On apprécie aussi les tournures médiévales de la relecture du Seagull woman de T. Rex, sur lequel les voix de Vanot et de Dominique A se répondent comme un écho sorti d’un rêve.
Je ne t’ai pas connu ces souliers dorés / Que tu t’étais achetée / Avec ton premier salaire / Je ne sais même pas si tu les as portés / Si tu avais osé / C’était un peu vulgaire / J’aimerais savoir si nous sommes faits de la même farine, toi et moi / Si nous avons les mêmes goûts pour les mêmes humeurs chagrines, et pourquoi
La même farine
Silvain Vanot poursuivra dans cette voie dite de l’assouplissement sur ses albums suivants, Egérie (1997) et surtout le formidable Il fait soleil de 2002. Ces deux disques pourtant très réussis n’ont pas permis à Silvain Vanot de gagner un public plus large, comme purent le faire Miossec et Dominique A au fil de leurs albums. Le bonhomme évolue ainsi dans des sphères plus confidentielles – mais pas forcément moins intéressantes – , se consacrant des années durant essentiellement aux musiques de films. Il est revenu à la chanson en 2009 avec Bethesda et a fait paraître un album en 2016, Ithaque, dans un anonymat toujours injuste.