Father John Misty Fear fun (2012, Bella Union)
Josh Tillman avait déjà derrière lui plusieurs vies de musicien avant de se réincarner en Father John Misty. Sous signature de J. Tillman, le bonhomme se fait connaître en 2006 avec Minor works, recueil intimiste de chansons folk et graves sous forte obédience Nick Drake. En 2008, il se retrouve embarqué dans l’aventure Fleet Foxes – enfants prodiges de la scène de Seattle – comme batteur, ne manquant néanmoins pas comme ses velus comparses d’ajouter son grain de sel aux harmonies vocales féeriques du groupe. Le garçon mène de front sa carrière solo (6 albums quand même jusqu’en 2010) et son job de batteur mais en 2011, traversant une sévère remise en question, il envoie balader à la fois les Fleet Foxes et sa défroque de folkeux taciturne pour passer à autre chose. Emmenant avec lui une cargaison de champignons hallucinogènes, il quitte en van Seattle pour aller quérir cet « autre chose » du côté de Los Angeles, comme tant d’autres avant et après lui. Son véhicule enfumé le conduit vers le mythique Laurel Canyon où, après avoir envisagé d’abord l’écriture d’un roman, l’inspiration musicale le reprend, aidé par le nouveau sorcier des lieux, le génial Jonathan Wilson. Rhabillé en Father John Misty (pseudonyme qu’il avouera avoir choisi parce qu’il sonnait bien), Josh Tillman change de dimension et enregistre cet épatant Fear fun.
I ran down the road / Pants down to my knees / Screaming « Please come help me / That Canadian shaman gave a little too much to me !
I’m writing a novel
Fatigué de jouer une musique qui selon ses dires ne lui servait qu’à « lécher ses plaies », Tillman choisit pour se réinventer de voir plus large et d’inspirer à pleins poumons l’air chargé d’histoire et d’influences musicales hors du commun de Laurel Canyon. Le folk boisé et mélancolique cède la place à une musique plus riche et aventureuse mêlant pop psychédélique, folk-rock drogué à la Gene Clark, tentations orchestrales et saillies youngiennes. L’album retrace les péripéties d’une sorte de double de Tillman, cow-boy rempli de drogues et d’alcool jeté dans le Hollywood décadent du Maps to the stars de Cronenberg et déambulant – tantôt hagard, tantôt conquérant – dans cette cité de tous les vices et de toutes les opportunités. Le bonhomme interprète l’ensemble avec un vrai sens du jeu qu’il met au service de textes souvent barrés et drôles.
Joseph Campbell and the Rolling Stones / Couldn’t give me a myth, so I had to write my own / Like I’m hung up on religion, though I know it’s a waste / I never liked the name Joshua, I got tired of J
Everyman needs a companion
Le disque s’avère au final extrêmement cohérent et d’un niveau constant, touchant avec égal bonheur à différents styles musicaux. On retiendra en premier lieu la grâce aérienne de l’épatant Nancy from now on qui semble flotter dans un éther dans lequel des angelots viendraient servir des mojitos. Les fines guipures de piano et la mélodie impeccable du morceau ont en tout cas proprement colonisé mon cerveau depuis déjà plusieurs semaines, et pour mon grand plaisir. Un peu plus loin, Father John Misty se drape dans la rusticité électrique de Neil Young le temps d’un formidable Hollywood forever cemetery sings puis s’en va se frotter à Gram Parsons sur un I’m writing a novel emballant. Ce sens du groove se retrouve sur les excellents Well, you can do it without me ou Tee pees 1-12 mais Josh Tillman, sous son nouveau masque, se révèle aussi à l’aise dans des envolées plus solennelles. Ce sera par exemple un O I long to feel your arms around me sortant les grandes orgues ou le superbe Now I’m learning to love the war qui se termine en crescendo orchestral. Ce sera surtout ce Everyman needs a companion final, à base de chœurs glorieux teintés d’espagnolades, qui s’en va nous accompagner en procession vers la sortie, comme une fin de party fatiguée et ivre, des paillettes dans les cheveux mais à la bouche le goût amer de l’alcool et de la solitude.
If you’re bound for the throne but the king won’t die / I can occupy the queen but that’s for her and I / I can do her / And you’ll be ruler without me
Well, you can do it without me
Loin des Fleet Foxes et de ses précédents albums solo, Josh Tillman nous donnait à voir une impressionnante réinvention avec ce fort réussi premier LP. Le monsieur vient de faire paraître son deuxième album en ce début d’année, I love you honeybear dont je ne manquerai pas de vous reparler dans ces pages dès que j’aurai pris le temps de m’y plonger.