De pierres et de broussailles
Silvain Vanot S/T (1993, Labels / Parlophone)
Au début des années 1990, Silvain Vanot, professeur de lettres dénué de vocation, se change les idées en composant des chansons. Il finit par envoyer ses maquettes à plusieurs maisons de disques jusqu’au jour où l’une d’elles atterrit dans l’oreille de Jean-Louis Murat. Impressionné, le chanteur auvergnat fait le forcing auprès de son label pour qu’il propose un contrat à ce trentenaire normand installé à Paris ; le label accepte et publie donc Silvain Vanot en 1993.
En allant faire l’amour au bord de la Seine / J’ai mis le pied dans une merde humaine / J’irai chanter sous ta fenêtre / Si le cœur m’en dit / Je ferai semblant de ne pas y être
Sous ta fenêtre
Je mentirais si je prétendais avoir découvert Silvain Vanot avec ce premier opus ; la rencontre sera un brin plus tardive, sans doute à l’époque de Sur des arbres (1995). Avec le recul, il est néanmoins aisé de comprendre ce qui a pu séduire Murat dans la musique à la fois lettrée et diantrement terrienne de son cadet. Car si aujourd’hui, pléthore de groupes français lorgnent sans complexe du côté du folk ou du rock américain, à l’époque, ils n’étaient pas légion à parvenir à traduire aussi justement avec des mots d’ici un idiome aussi ancré.
Vous m’avez donné le goût de l’effort / Sans me demander si j’étais d’accord / Mais sur quel ton faut-il le dire ? / Je ne suis pas corvéable à merci
Corvéable à merci
Car dès les premières mesures de Sous ta fenêtre, on est attrapé par ce son de guitare, lourd, à la rage tapie comme une bête prête à bondir, et qui finit par déferler lentement, fleuve mauvais sortant de son lit de marécage et d’idées noires. Ces guitares bilieuses, pleine d’échardes, apprises chez Neil Young (mais chez d’autres aussi, du côté de la scène indie américaine par exemple), on les retrouve régulièrement au fil des onze chansons qui composent cet épatant premier album de pierres et de broussailles. Et ce qui séduit chez Vanot, c’est cette façon de vouloir concilier ses références littéraires et son goût des mots avec cette musique-là, réussissant à greffer la langue française dans la bouche du rock, tâche alors bien ardue et que d’autres défricheurs de l’époque surent également mener à bien (Dominique A en premier lieu). Vanot pousse sa volonté de marier ces deux modes d’expression jusqu’à offrir un écrin tout d’électricité hirsute à un poème de Joachim du Bellay sur En douleur et tristesse. Ce qui séduit aussi (si l’on peut parler de séduction), c’est le côté « incommode » de cette musique. Les chansons de Vanot affichent comme un faux pli, le goût acre de la sève du bois vert. Peu de sérénité ici, mais des airs d’avant ou d’après l’orage, le ciel est souvent gris ou noir ou un peu des deux, même quand le garçon s’essaie à des rythmes plus entraînants (L’amour tue la vertu par exemple).
Quand je te touche, je te lasse / Je fais un bien triste Midas
Les yeux précieux
Dans ses moins bons moments, on pourra reprocher à cet album sa raideur, son inconfort un peu grinçant. Mais le plus souvent, les humeurs maussades du Normand font surgir de bien belles perles noires. C’est cet introductif « Sous ta fenêtre » déjà mentionnée, c’est le splendide La bouche herbue – ballade country-rock merveilleusement défaite – , c’est le folk rustique et simplement rageur de Corvéable à merci. On n’oubliera pas de mentionner aussi cette formidable reprise en italien du As tears go by des Stones ou ce terminal et glaçant La vie qu’on aime, qui vient clore l’album comme on ferme une porte à double tour.
Si tu veux m’oublier / Regarde les nuages / Et je volerai plus bas
Voler voler voler
Silvain Vanot publiera régulièrement des albums fort recommandables jusqu’à son magnifique Il fait soleil de 2002. Lassé des vicissitudes de la « vie d’artiste », il marquera un break prolongé jusqu’à son retour avec Bethesda en 2009. Le bonhomme se fait malheureusement rare, raison de plus pour profiter des billets érudits et passionnants qu’il publie régulièrement sur son blog.
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[…] Sur un premier album remarquable et remarqué – dont il fut d’ailleurs question dans ces pages – , le bonhomme s’employait avec ardeur à frotter un folk-rock directement puisé à […]